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Pourquoi les écolos servent-ils toujours les mêmes plats ?

Pourquoi les écolos servent-ils toujours les mêmes plats ?

Depuis qu’il s’est installé sur la scène politique, il y a déjà plus de trente ans, le mouvement écologiste rencontre le même problème qui ne lui est pas spécifique mais qu’aucun autre parti ne vit avec pareille intensité. C’est celui d’un décalage constant entre d’un côté un appareil militant et la ligne à laquelle il est attaché et, de l’autre, les attentes d’un électorat dès lors que celui-ci ne se réduit pas à un courant résiduel de l’opinion publique.

Il y a toujours quelque chose de fascinant de voir une organisation politique refuser ce qui devrait assurer son succès avec la conviction que sa mission principale est la défense d’une orthodoxie avec laquelle elle ne saurait transiger. Les écolos se comportent comme le dernier parti d’avant-garde. Ils estiment que leur rôle est plus de guider que d’écouter. Ils prônent une démocratie ouverte, souple et participative. Mais leur comportement va à l’exact opposé. Au sens propre du terme, ils sont sectaires. C’est ce qui donne à leurs débats internes cette violence et cette dureté que même Cécile Duflot a fini par reconnaître quand, dans son dernier livre (Le Grand Virage), elle fait du «convivialisme» la boussole de son futur projet présidentiel dont on notera, au passage, combien il fait écho au «care», cher à sa copine Martine Aubry lorsqu’elle nourrissait de pareilles ambitions.

Cette schizophrénie dit plus qu’un caractère. Elle est collective et donc essentiellement politique. C’est elle qui, au fond, explique que, dans sa courte histoire, le mouvement écolo ait été incapable de capitaliser, sur la durée, d’indéniables succès électoraux et qu’à intervalles réguliers, seule la scission ait permis de régler des différents internes qui, pour ne pas être secondaires, auraient très bien pu être tranchés sur un mode pacifique.

Ce qui se passe aujourd’hui au sein d’EELV est donc à la fois banal et extraordinaire. Pour comprendre, il faut simplifier. L’électorat naturel de l’écologie politique, en France, hors périodes de basses eaux, est réformiste, individualiste, un brin libertaire. Bref, cohn-bendiste. Il est «bobo», comme on dit aujourd’hui dans le langage de la pub. En d’autres temps, on aurait parlé, avec les sociologues, de nouvelles classes moyennes, ou, avec les historiens, d’un tiers état cultivé. Cet électorat porte à gauche mais il peut être aussi volage. Sa vraie nature est d’être instable. Il aime être séduit et c’est pour cela qu’il est souvent infidèle.

L’appareil écolo, jusque dans ces petites sphères militantes, est, en revanche, un modèle d’orthodoxie. Il l’est d’ailleurs d’autant plus qu’il est numériquement faible et qu’il communie dans l’idée que son projet est global et que sa cohérence est d’être une alternative complète à ce que le vieux monde politique a installé sur le grand marché des idées. Le militant écolo est un millénariste assumé. Il croit que l’Histoire à un sens et que sa mission, pour faire court, n’est pas de verdir la politique mais de contribuer à ce qu’il croit inéluctable, sauf à se résigner au désastre, en rendant la politique entièrement verte.

D’autres, avant lui, à gauche et à l’extrême gauche notamment, ont partagé semblable espérances. Mais rarement une boutique aussi étroite, close et, au fond, étrangère au mouvement social aura porté, aussi haut, le projet d’une autre paradigme. Tout cela n’est pas sans conséquences. Les principales sont le refus du compromis assimilé à la trahison mais aussi, curieusement, un goût immodéré de la tactique, frisant l’opportunisme puisque, dans cette optique, le combat politique n’est qu’un art d’accompagnement sur un chemin tracé par l’évidence.

Quand François de Rugy pointe la dérive «gauchiste» de ses anciens camarades sans doute est-ce à cela qu’il songe, sans en faire le constat explicite : non pas simplement un radicalisme dont une certaine gauche est coutumière mais aussi une logique groupusculaire dictée par la vraie foi et qui donne à cette orthodoxie d’appareil le double visage du fondamentalisme et de l’extrémisme. Ces deux courants se sont longtemps affrontés pour le contrôle du parti du temps, notamment, où Antoine Waechter en était le patron. Ils se sont retrouvés quand la synthèse esquissée par Dominique Voynet a volé en éclat au lendemain du 21 avril 2002. Ils ont accompagné, pour mieux le détourner, le projet de Daniel Cohn-Bendit. Ils ont permis l’émergence du couple Duflot-Placé avant de le briser et d’envoyer l’un dans le mur et l’autre dans une impasse. Avec eux, les leaders tournent, les électeurs fuient mais le système demeure intact. Hétérogène, sans doute, mais animé par un désir commun de pureté, fut-ce au prix de la marginalisation.

Cette logique sectaire, en effet, à son revers. Elle libère des espaces politique là-même où ces courants prétendent pourtant exercer une forme de monopole. Elle permet à la gauche de gouvernement de conquérir une part de marché sur le terrain de l’écologie concrète dont Ségolène Royal est le visage baroque qui fut déjà le sien, au début des années quatre-vingt, dans des contexte comparable et au même poste ministériel, dans le gouvernement de Pierre Bérégovoy. Cette logique permet également à Jean-Luc Mélenchon d’exercer sur l’appareil écolo, façon EELV, une pression politique dont on mesure les effets à l’occasion de la campagne des régionales dans un débat récurrent sur la question de l’autonomie et des alliances. Le fondateur du Front de gauche appuie là où ça fait mal, au point sensible d’une contradiction identitaire qui travaille le noyau dur des derniers militants écolos, sans que beaucoup d’entre eux réalisent combien son projet de recomposition passe d’abord par leur liquidation.

Pour l’instant, on en est encore à la phase de dispersion, sous le regard gourmand des prédateurs de tous poils. Cécile Duflot, qui a fini par comprendre le piège qu’elle a elle même creusé, tente désormais de redéfinir un corpus idéologique qui donne à ses ambitions une densité et une cohérence trop longtemps négligées. Sur le chemin de la présidentielle, elle avance par le livre. On en est au second en à peine moins un an. La méthode est classique. Trop peut-être alors que l’urgence est là et que l’ancienne ministre de Jean-Marc Ayrault n’offre à ses électeurs qu’une resucée, en moins brouillon, de l’ancien discours d’Eva Joly. Ce n’est n’est pas si étonnant puisque leurs plumes sont les mêmes…

Tout aussi classique est la ligne que défend désormais son ex-complice, Jean Vincent Placé. Le président du groupe écolo du Sénat a rompu plus vite qu’il ne l’avait prévu, dans le sillage de son homologue de l’Assemblée, François de Rugy. Mais sa trajectoire était prévisible. Le parti que viennent de fonder les deux hommes – «Écologistes !» – est un conglomérat qui, sous une forme ou une autre, conduit tout droit au rassemblement, sous une même étiquette, des enfants perdus de l’écologie politique. On y retrouvera les générations de tous ceux qui, de Jean-Luc Bennahmias à Yves Pietrasanta et tant d’autres encore, un jour, ont craqué, avant de s’éparpiller dans la nature. Potentiellement, cela fait du monde, quoiqu’on en dise !

Tout aussi classique est la ligne que défend désormais son ex-complice, Jean Vincent Placé. Le président du groupe écolo du Sénat a rompu plus vite qu’il ne l’avait prévu, dans le sillage de son homologue de l’Assemblée, François de Rugy. Mais sa trajectoire était prévisible. Le parti que viennent de fonder les deux hommes – «Écologistes !» – est un conglomérat qui, sous une forme ou une autre, conduit tout droit au rassemblement, sous une même étiquette, des enfants perdus de l’écologie politique. On y retrouvera les générations de tous ceux qui, de Jean-Luc Bennahmias à Yves Pietrasanta et tant d’autres encore, un jour, ont craqué, avant de s’éparpiller dans la nature. Potentiellement, cela fait du monde, quoiqu’on en dise !

Le modèle est à rechercher du côté d’une formation politique, désormais sans consistance réelle mais qui eut, en son temps son heure de gloire. Génération écologie, durant le second septennat mitterrandiste, a été jusqu’à faire jeu égal, dans les urnes, avec l’ancien parti des Verts, alors en pleine expansion bien que défenseur du «ni gauche, ni droite». Ce parti – déjà – rassemblait plus de personnalités que de militants, étant entendu que son concurrent écolo – déjà – n’en comptait pas légion. Sa force était surtout médiatique. Son alliance avec le PS n’a pas duré longtemps mais suffisamment toutefois pour qu’il se constitue un portefeuille non négligeable d’élus. Son positionnement idéologique lui a permis, un moment, d’attirer un électorat que l’on disait à l’époque post-rocardien en ce sens qu’il était aussi peu sensible au catéchisme écolo pur sucre et qu’au prêchi-prêcha du mitterrandisme finissant.

Coïncidence troublante, c’est à l’occasion d’élections régionales, en 1992, alors que le PS était dans les cordes et que les Verts pensaient être en mesure de le rejeter dans les poubelles de l’Histoire, que Génération écologie a réalisé sa plus belle performance. On comprend aisément que cette aventure-là, même si elle ne s’est pas bien terminée, continue à séduire Placé, de Rugy et ceux qui les rejoindront bientôt. Leur pari est celui d’une permanence, dans l’opinion, d’un néo-radicalisme urbain, mobilisable à la seule condition de lui offrir une offre politique conforme à ses attentes.

«Écologistes !», en ce sens, a quelque chose d’un faux nez, comparable dans la méthode choisie, aux «Républicains» de Nicolas Sarkozy. L’autre pari, plus osé encore si l’on se réfère à l’exemple de Génération écologie, est que ce genre d’organisation peut s’imposer dans le débat public sans être incarné par un leader, fort d’une influence ministérielle, comme ce fut le cas avec Brice Lalonde. «Écologistes !» s’affiche pluriel. Pour commencer, c’est logique. Pour durer, ça l’est moins. Autre manière de dire que l’avenir de ce nouveau parti est indexé aux remaniements qui mijotent dans les cuisines de l’Élysée. Ce qui n’est pas le signe d’une durabilité évidente.

Quoiqu’il se passe jusqu’à l’échéance présidentielle de 2017, il est clair en tous cas qu’une page de l’histoire de l’écologie est en train de se refermer. Derrière les reclassements des uns et des autres, ce qui frappe avant tout est la capacité de cette famille de pensée à reproduire les mêmes débats, les mêmes figures, les mêmes positionnements, dès qu’elle s’engage sur le terrain strictement politique. La facilité serait de voir là une simple affaire de tempéraments individuels ou bien de conclure qu’une forme de biologie politique, ô combien spécifique, dicte les cycles successifs d’une immaturité sans cesse renouvelée. Plus profondément, ces mouvements erratiques posent la question de la compatibilité d’une écologie fidèle à sa mission première avec la politique telle qu’elle perdure dans la forme traditionnelle du combat partisan et électoral. Cette question est ancienne. Elle n’a jamais été tranchée. À force d’être reposée, à l’épreuve des faits et des bilans comparés, on peut toutefois imaginer qu’elle finisse par l’être prochainement, faute de combattants.