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Pourquoi Sarkozy a loupé son entrée en campagne

Pourquoi Sarkozy a loupé son entrée en campagne

La primaire de la droite est désormais sur les rails. On connaît le nom des candidats. Ceux-ci ont exposé depuis la fin de l’été leurs principaux arguments tout en dévoilant leur programme de manière détaillée. Leurs stratégies respectives sont clairement établies. Il reste encore deux mois avant le vote. C’est beaucoup. Trop peut-être. Il n’est pas sûr qu’en prévoyant une campagne aussi longue – bien plus longue en tous cas que n’avait été celle de la gauche en 2011 – les organisateurs de ce scrutin aient vraiment mesuré les conséquences concrètes de ce choix dont on vérifiera bientôt s’il était ou non celui de la raison et de la prudences réunies.

Pour que les électeurs soient définitivement éclairés, il ne manque plus que des échanges directs, à la télévision, entre les différents prétendants. Un premier débat est prévu le 13 octobre sur TF1. D’autres suivront avec sans doute des records d’audience. On ne voit pas très bien ce qu’il sera alors possible d’ajouter à ce stade de la campagne – hormis du spectacle – pour que le vote final puisse se dérouler dans des conditions qui satisfassent aux critères d’une compétition régulière et, partant, assumée comme telle par ceux qui en sont les principaux acteurs.

Tout cela ne signifie pas que la primaire soit déjà terminée. Elle est sur les rails et peut encore dérailler. Mais elle a débuté dans des conditions telles, que faire aujourd’hui un point d’étape, c’est aussi dévoiler ce qui la structure et répondre à quelques questions déterminantes pour quiconque entend en comprendre le déroulement et en prévoir l’issue.

La primaire favorise-t-elle la montée aux extrêmes ?

C’est la thèse que soutient notamment François Bayrou et avec lui, une grande partie des commentateurs. Rien pour l’instant ne la confirme. Et Sarkozy dira-t-on ? Il est vrai que ce dernier est entré en campagne avec le désir évident d’hystériser le débat sur des thèmes identitaires proches de ceux du Front national. Même sans Patrick Buisson, Nicolas Sarkozy applique ses habituelles recettes de campagne. Faire ce constat, n’est-ce reconnaitre qu’avec ou sans primaire, l’ancien Président ne changera pas ? Quelle que soit la nature de la compétition, il recherche la transgression avec l’objectif d’imposer ses thèmes en obligeant ses adversaires à se positionner par rapport à lui. Faire campagne, pour lui, c’est toujours faire du bruit.

Or, dans le cadre de la primaire qui se déroule sous nos yeux, on constate précisément que cette manière d’agir a un effet contraire à celui qui avait été annoncé ici ou là. Loin de provoquer une montée aux extrêmes, elle a poussé les concurrents de Nicolas Sarkozy – à commencer par le principal d’entre-eux, Alain Juppé – à assumer, plus encore qu’auparavant, une ligne sinon modérée, du moins plus responsable et, en tous cas, moins vulgairement outrancière.

À sa manière, Nicolas Sarkozy a donc contribué à l’affirmation d’une autre droite. Cette clarification n’indique pas une radicalisation de la primaire mais une différenciation des lignes défendues en son sein. Ce qui est très différent. Elle est en train, qui plus est, de s’opérer aux dépens de celui qui l’a provoquée. Autant qu’on puisse en juger aujourd’hui, la ligne stratégique choisie par l’ancien Président lui permet de rester dans la partie mais sans renverser la tendance. Elle est suffisamment dure pour réaliser un score conséquent de 1er tour mais elle l’est trop, semble-t-il, pour espérer vaincre au second. Si elle polarise, c’est d’abord contre le candidat qui la porte.

Tout cela vient rappeler qu’en 2011 déjà, lors de la primaire de la gauche, c’est François Hollande, c’est-à-dire le candidat crédible le plus éloigné des fondamentaux de son parti, qui l’avait finalement emporté. Il ne s’agit pas ici de dresser un parallèle entre le positionnement, à cinq ans de distance, de Martine Aubry et de Nicolas Sarkozy. Mais comment ne pas voir que dans une compétition qui s’adresse aux sympathisants et non aux seuls militants, c’est une forme de modération rassembleuse et non de radicalité identitaire qui est à nouveau la martingale du succès.

Les sondages font-ils l’élection ?

Ils dictent en tous cas le commentaire. Lorsque dans les enquêtes d’opinion, Alain Juppé caracolait en tête, certains imaginaient que Nicolas Sarkozy allait devoir renoncer à se présenter. Lorsque qu’à la mi-septembre, les écarts se sont resserrés, les mêmes ont annoncé que le favori d’hier était en train de perdre pied. Depuis qu’il a retrouvé des couleurs, c’est sa désignation fin novembre qui redevient inéluctable. Souvent presse varie… Mais une fois encore, ce n’est pas le sondage en tant que tel qui pose ici problème mais la façon dont il est lu, à chaud et sans recul, comme si c’était lui qui faisait le mouvement alors qu’il ne fait que l’indiquer.

Ce travers n’est guère original. Dans le cadre d’une primaire, il pèse sur la compétition plus encore que d’ordinaire. À partir du moment où les différents candidats appartiennent à la même formation et partagent donc un socle commun de convictions, il n’est pas absurde que les électeurs les distinguent en fonction des performances électorales qui leurs sont prêtées. Qui est le favori, qui est un simple outsider et qui n’est qu’un comparse ? Qui est dans la course et qui ne l’est pas ? Qui est le mieux à même de remporter l’élection présidentielle proprement dite, face à la gauche et surtout au Front national ?

L’exercice est purement théorique. Mais imaginons un instant la manière dont la primaire de la droite serait aujourd’hui commentée par les médias et vécue par les électeurs en l’absence de tout sondage. Est-on sûr qu’Alain Juppé serait présenté comme le mieux à même de conduire son camp à la victoire finale ? Comment l’entrée en campagne de Nicolas Sarkozy serait-elle analysée en termes d’efficacité ? Bruno Le Maire est aujourd’hui celui qui conteste le plus vivement les scores qui lui sont attribués dans toutes les enquêtes d’opinion et dont il prétend qu’elles le sous-estiment. Mais si celles-ci n’existaient pas, serait-il présenté de manière somme-toute assez flatteuse comme «le troisième homme» de la compétition alors que sur le papier, hors de toute indication sondagière, d’autres que lui auraient pu être ainsi distingués ?

Dans une primaire, plus que dans toute autre élection, le sondage éclaire et déforme à la fois. Comme tout élément d’information, il influe sur le comportement des électeurs et cela d’autant plus que les indications qu’il fournit sont celles qui leur importent le plus. Le vrai problème que pose leur utilisation massive dans cette compétition n’est d’ailleurs sans doute pas celui qu’on dit habituellement.

Les sondages ont fait la démonstration de leur fiabilité dans les élections classiques de type présidentielles. En raison de l’incertitude sur le nombre des votants lors d’une primaire dont le caractère inédit à droite complique les opérations habituelles de redressement, ils sont d’un caractère par nature beaucoup plus aléatoire. En 2011, on a vu qu’en masse, ils avaient su mesurer les grandes tendances du vote mais sans prévoir à leur juste mesure la poussée d’Arnaud Montebourg et le décrochage de Ségolène Royal. Qu’en sera-t-il en 2016 ?

Plus encore qu’il y a cinq ans, les sondages rythment la campagne des primaires et déterminent le statut des candidats. Reconnaissons toutefois que cette boussole essentielle dans le choix des électeurs n’a pas encore prouvé qu’elle était d’une précision absolue. À ce titre, ne vaudrait-il pas analyser le déroulement de la campagne à partir d’autres critères portant notamment sur la spécificité de ce scrutin et la nature très particulière du corps électoral qu’il prétend mobiliser ?

Primaire de droite, électeurs de gauche ?

Dans toute autre élection que la primaire, on sait, dès le départ, qui sont les inscrits. La campagne est donc un exercice de mobilisation d’un stock d’électeurs dont on connait le nombre. Avec la primaire, rien de tout cela. L’inscrit est le votant. Ou, ce qui revient au même, voter, c’est s’inscrire. Dans ce système, la notion d’abstentionniste n’a plus aucun sens.

Qu’est-ce que ça change ? Eh bien tout ou presque ! La primaire crée elle-même son corps électoral. D’un côté, on sait d’expérience qu’elle intéresse un électorat spécifique qui est, à gauche comme à droite, celui des inclus, plus âgés, plus aisés, plus cultivés que la moyenne. Mais de l’autre, on ignore dans des proportions inédites le nombre de ceux qui iront effectivement voter. Ce n’est pas pour rien que tous les sondages effectués ces temps-ci se fondent sur des hypothèses multiples de participation avec des résultats qui, dans chacune d’entre-elles, se révèlent différents.

En 2011, à deux mois du scrutin, on estimait à un million le nombre des électeurs susceptibles de participer à la primaire de la gauche. Ils furent au final près de trois fois plus. Une paille ! Aujourd’hui, s’agissant de la primaire de la droite, on prétend, comme par imitation, qu’ils seront à nouveau environ trois millions. Or, vu le nombre de ceux qui se sont déjà inscrits par internet pour voter depuis l’étranger, il n’est pas absurde d’imaginer par simple projection que soit franchie, fin novembre, la barre des quatre millions d’électeurs. C’est en tous cas ce que confie désormais nombre de responsables de l’UMP et cela, quel que soit le candidat qu’ils soutiennent dans la primaire.

Il a longtemps été dit et écrit qu’une participation aussi massive ne pouvait que profiter à Alain Juppé. En fait, ceux qui le prétendaient faisaient surtout l’analyse que plus le corps électoral de la primaire serait faible, plus il se rapprocherait dans son comportement de celui des militants de la droite dure et donc plus il serait en phase avec le programme de Nicolas Sarkozy. Ce qui est sans doute vrai. Mais en même temps, il y avait en filigrane, derrière ce raisonnement, l’idée, au fond assez absurde, selon laquelle on peut être candidat à une élection tout en faisant en sorte que les électeurs n’y participent guère. A-t-on jamais vu en effet un candidat maitriser à la baisse la participation alors que toute campagne est par nature un exercice de mobilisation maximale ?

Si l’on estime que l’hypothèse des quatre millions de votants est aujourd’hui envisageable, il convient donc de regarder qui pourraient être ces nouveaux venus. À la lecture des sondages publiés ces derniers temps, il semble avéré que ce soient en effet, pour la plupart, des supporters d’Alain Juppé. On y reviendra plus loin. Reste que pour sortir du cercle des électeurs dits inclus dont tout indique qu’ils ne lui sont pas majoritairement favorables, Nicolas Sarkozy peut avoir lui aussi intérêt à une net surcroit de participation. À condition toutefois qu’il soit le fait d’un électorat plus populaire, donc plus en phase avec ce qu’il propose dans sa campagne.

En radicalisant le débat de la primaire, Nicolas Sarkozy ne cherche-t-il à faire entrer dans le vote cette partie de l’opinion qui jusqu’à présent est restée à l’écart de la compétition ? On a souvent dit qu’en agissant de la sorte, il voulait solidifier le socle de ses soutiens au sein du noyau dur de la droite. Mais celui-ci ne lui n’est-il pas acquis de longue date ? Pour renverser une tendance qui pour le moment ne lui est pas favorable, l’ex Président donne plutôt l’impression de vouloir rétablir une cohérence entre l’électorat de la droite et celui de la primaire, loin des biais sociologiques qu’induit habituellement cette compétition. Cela passe nécessairement par une participation plus forte dans des segments d’opinion aujourd’hui délaissés par les autres candidats. Rien ne dit que cela soit possible. Tout montre cependant que tel est l’objectif.

Pour Nicolas Sarkozy, l’enjeu est sociologique. Pour Alain Juppé, il est plus spécifiquement politique. C’est toute la question de ces électeurs dits de gauche qui passionne depuis peu les médias et dont ceux-ci prétendent qu’ils pourraient s’inviter dans la primaire de la droite. Encore faudrait-il préciser de quoi il s’agit précisément. Ces électeurs sont-ils des stratèges qui en se préparant à faire le choix d’Alain Juppé entendent seulement barrer la route à Nicolas Sarkozy ? Ou sont-ils de nouveaux convertis qui se reconnaissent dans la ligne modérée ou raisonnable – comme on voudra ! – défendue par le maire de Bordeaux ?

Les premiers sont destinés à revenir dans leur camp d’origine lors de la présidentielle proprement dite, une fois obtenu ce qu’ils souhaitent s’agissant de Nicolas Sarkozy. Les seconds, par contre, sont dans une logique qui doit les conduire à voter à droite, en 2017, si le candidat de celle-ci est bien celui qu’ils espèrent. En ce sens, ce ne sont plus vraiment des sympathisants de gauche, sauf à croire qu’on peut l’être encore tout en votant à droite…

Pour Nicolas Sarkozy, l’enjeu est sociologique. Pour Alain Juppé, il est plus spécifiquement politique. C’est toute la question de ces électeurs dits de gauche qui passionne depuis peu les médias et dont ceux-ci prétendent qu’ils pourraient s’inviter dans la primaire de la droite. Encore faudrait-il préciser de quoi il s’agit précisément. Ces électeurs sont-ils des stratèges qui en se préparant à faire le choix d’Alain Juppé entendent seulement barrer la route à Nicolas Sarkozy ? Ou sont-ils de nouveaux convertis qui se reconnaissent dans la ligne modérée ou raisonnable – comme on voudra ! – défendue par le maire de Bordeaux ?

Pour le dire autrement, les uns sont, dans la primaire de la droite, des éléments perturbateurs dont on imagine mal qu’il soient suffisamment nombreux pour en modifier le résultat final de manière significative. Les autres, en revanche, signalent la disponibilité d’un électorat flottant dont l’attachement à ce qui fut son camp est devenu trop faible pour ne pas être attirés par une offre alternative, pourvue qu’elle reste modérée et crédible. On retrouve là essentiellement d’anciens supporters de François Hollande qui avaient pu être séduits un moment par François Bayrou, qu’Emmanuel Macron ne laissent pas indifférents et qui trouvent avec Alain Juppé quelque chose qui, aujourd’hui, répond mieux – ou moins mal – à leurs aspirations constantes tout en étant capable de remporter la présidentielle.

Ces électeurs sont l’expression d’un courant d’opinion qui, en effet, peut assurer le succès du maire de Bordeaux, via un net surcroit de participation lors du scrutin de la fin novembre. La primaire de la droite, avec eux, peut devenir ce qu’elle prétend, c’est-à-dire également du centre et – pourquoi pas ? – du centre-gauche. Ce vote en faveur d’Alain Juppé est un premier pas assez aisé dès lors qu’il peut se justifier par un anti-sarkozysme structurel. Il montre aussi la persistance d’un phénomène d’une rare banalité : dans une élection quelle qu’elle soit, c’est en attirant des électeurs qui se retrouvaient auparavant dans le camp adverse qu’on redevient majoritaire.

Jacques Chirac en 1995 et même Nicolas Sarkozy en 2007 avaient su créer autour de leurs candidatures respectives une dynamique suffisamment puissante pour enclencher pareils ralliements dans des proportions suffisamment fortes pour peser sur le résultat de l’élection. La nouveauté, avec Alain Juppé, est que cette capacité de rassemblement peut désormais se manifester à l’occasion d’une primaire qui n’existait pas avec ses prédécesseurs. En ce sens, les sympathisants de gauche qui disent vouloir y participer, n’en changent pas le visage mais l’expriment dans sa réalité profonde qui, potentiellement, est aussi celle du cru 2017 de la présidentielle.

La première version de cet article a été publiée le 3 octobre 2016 sur Challenges.fr