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Quand Fillon réinvente la com de crise

Quand Fillon réinvente la com de crise

Au point où elle en est arrivée, bref au «moment T» comme dit Alain Juppé, l’affaire Fillon raconte deux histoires à la fois qui, l’une comme l’autre, méritent d’entrer dans la très riche chronique de la communication de crise. La première, c’est celle d’un homme à qui on demande ses papiers et qui, plutôt que de les présenter, préfère se mettre à poil en dénonçant le spectacle obscène auquel on l’aurait contraint. La seconde, c’est celle du même qui pour mieux montrer qu’il est digne de l’emploi auquel il prétend, explique qu’il n’a sans doute pas toutes les qualités requises mais que cela ne l’empêchera de le revendiquer coûte que coûte.

La polémique ouverte par les accusations du Canard Enchainé serait close depuis longtemps si François Fillon avait mis publiquement sur la table les preuves tangibles – notes, carnets, agendas – attestant la réalité du travail fourni par sa femme et ses enfants. Plutôt que de le faire, il dit avoir réservé ses explications à la justice dont il conteste pourtant la compétence. En même temps, il livre à la presse qu’il voue aux gémonies toutes les réponses aux questions qui ne lui ont pas été posées.

Son patrimoine, la listes de ses comptes bancaires, le détail des émoluments versés à ses assistants lorsqu’il était parlementaire sont désormais publics. On peut les consulter sur le site du candidat. Mais aucun de ces documents ne concerne ce qui est l’unique objet l’affaire en cours : Pénélope, Charles et Marie Fillon ont-ils fourni le travail correspondant aux contrats qu’ils sont signés en toute légalité ?

Cette ligne de défense, dans ce qu’elle a de biaisée, est en fait une ligne de com. François Fillon veut témoigner de sa bonne volonté. Il ne cache (presque) rien. Il s’exhibe. Il répond à des soupçons et non pas aux accusations qui sont lancées contre lui. Cette manière de devancer ses procureurs, fussent-ils médiatiques, lui permet de se présenter comme un gibier, victime d’une chasse à courre. Ce qui n’est pas totalement faux.

C’est la vieille thèse de l’acharnement qu’ont convoqué avant lui Jérôme Cahuzac ou Nicolas Sarkozy, pour ne parler que de l’époque récente. Elle vise à faire oublier ce qui déclenche une affaire pour mieux pointer la férocité de ceux qui la nourrissent. François Fillon n’allume pas de contre-feux. Il en allume d’autres qui sont autant de leurres. Il attend, après ça, qu’on le plaigne et qu’on convoque, au banc des accusés, les journalistes qui traquent un homme plutôt que la vérité.

Dans un registre comparable, le candidat des Républicains présente enfin «des excuses» là où on attendait qu’il présente des preuves. En présentant des excuses, il s’autorise à se présenter aux suffrages des Français. Responsable de tout mais pas coupable de rien, François Fillon ne reconnait que des fautes. S’il s’est mal défendu au départ de l’affaire, c’est parce que la gravité des accusations lancées contre lui l’a laissé sans voix. S’il n’a pas compris ce qui lui arrivait, c’est qu’il n’a pas mesuré combien l’opinion ne supportait plus ces formes d’emplois familiaux dont est coutumière la classe politique.

Pour qu’on lui pardonne, François Fillon cherche donc à s’humaniser, ce qui est une manière comme une autre de montrer qu’il est encore en vie. Il se dépouille donc des attributs d’un candidat digne de ce nom à la magistrature suprême en plaidant le manque de sang-froid et son ignorance des attentes de la société. Puis, il réenfile l’habit du Président putatif en mettant en scène sa capacité de résilience et, partant, sa force de résistance face aux assauts menés contre lui.

Est-ce suffisant pour le sauver ? Ceux qui le pensent montrent surtout leur surprise de ne pas le voir déjà mort et enterré. D’autres qui le prétendent en regardant les sondages qui ne se sont pas effondrés oublient tout de même que si un tiers de l’électorat de droite continue à douter ou à s’offusquer, c’est la qualification pour le tour décisif de la présidentielle que son champion risque de laisser filer. En attendant que la situation se décante sur ce front-là, mieux vaut peut-être s’arrêter un instant à ce que dit cette affaire à travers l’argumentaire utilisé par l’ancien Premier ministre. Derrière la com – Anne Méaux pour faire simple –, il y en effet le droit – Antonin Lévy, pour faire court – et la politique pure – Patrick Stefanini, pour ne pas le nommer.

Qu’est-ce qu’un assistant parlementaire ? Sur le plan juridique, François Fillon, avec son avocat, répond que c’est le contrat qui, à lui seul, définit le poste. Chaque député ou sénateur bénéficie d’une ligne de crédit qui lui permet d’employer ceux qui sont chargés de l’assister. Il est libre de recruter qui bon lui semble avec un salaire fixé à sa guise dans la limite des sommes qui lui sont allouées. En clair, cela signifie donc que le travail des assistants parlementaires ne répond pas à une définition précise.

Certains sont chargés de la préparation du travail législatif. D’autres gèrent l’emploi du temps de leur employeur, soit à Paris, soit en conscription. Ces taches peuvent être cumulatives. L’assistant peut être aussi bien un simple secrétaire qu’une sorte de directeur de cabinet. Cela signifie qu’en droit, l’assistant n’a pas d’autre fonction que d’assister. Mais qu’est-ce qu’assister ? C’est là qu’on en revient au cas de Pénélope Fillon. Si assister, c’est aider, c’est soutenir le parlementaire dans l’exercice de son mandat, alors en effet le champ du travail exigible d’un collaborateur devient illimité – ou plutôt illimitable – et donc, par nature, incontrôlable.

C’est vers ce constat que tentent de conduire, insensiblement, François Fillon et son avocat. Ils contestent la compétence des juges au nom des franchises parlementaires. Mais surtout, ils tentent d’expliquer qu’il est vain de rechercher les preuves matérielles d’un travail qui, précisément, n’a pas besoin de l’être. Si par sa seule présence à son côté, Pénélope Fillon a été un coach, une supportrice ou tout simplement la compagne de celui avec qui elle partage vie privée et vie politique, au nom de quoi lui contesterait-on le titre d’assistante ? Entre un couple et un duo à la ville, à la maison et au Parlement, quelle différence, au fond ?

À partir d’une définition du rôle d’un assistant d’autant plus floue qu’elle est laissée à la libre appréciation du parlementaire, on peut ainsi pousser jusqu’à l’absurde le débat qui oppose François Fillon et ses accusateurs. C’est ce dont l’intéressé ne se prive d’ailleurs pas quand il explique par exemple que sa femme lui rapportait les propos tenus en marge de ses réunions publiques ou qu’elle notait les coups de fils qu’on voulait bien lui passer. À ce compte-là, on pourrait presque prétendre qu’il aurait pu engager, sur fonds publics, un majordome qui cire ses chaussure – travail d’image – ou une cuisinière qui le serve à table – frais de réception. Toutes ces tâches ne sont-elles pas une contribution à son bien-être ou à sa tranquillité et, par conséquent, au bon exercice de son mandat ? Si celui-ci suppose qu’on lui fiche la paix, ne pourrait-on pas dire que l’absence d’activité de l’assistant est précisément ce qui justifie sa rémunération ?

François Fillon ne va pas jusque-là, bien entendu. C’est pourtant la direction qu’il suggère pour défendre sa cause et, au-delà, son honneur. Parce qu’il est également attaqué sur le travail de ses enfants et, indirectement, sur les pratiques de son ancien suppléant, il ne se contente pas de redéfinir à sa main le travail d’assistant. À l’entendre, c’est la fonction parlementaire qu’il convient d’apprécier de manière extensive. Puisque les députés ou les sénateurs sont, par nature, des hommes ou des femmes politiques et qu’ils occupent souvent, du fait de leur mandat, des responsabilités partisanes, leurs collaborateurs ne peuvent être cantonnées à tâches relevant du simple travail législatif. Participer à la rédaction d’un livre ou rédiger des notes en vue d’une campagne présidentielle menée par un autre que le parlementaire en question, c’est encore l’assister. De même que l’emploi évanescent de Pénélope Fillon n’était pas fictif, celui de Charles et Marie Fillon, pourvu qu’il ait été effectif, ne sortait donc pas du champ de ce que la loi autorise. CQFD.

Enfin, tout se passe comme si, pour François Fillon, le mandat parlementaire était, au sens propre du terme, une charge qui, une fois acquise, peut être transmise sans pour autant changer de propriétaire. On le voit bien quand il revendique le droit, devenu ministre, de placer son épouse auprès de son ancien suppléant au seul motif de pouvoir conserver un lien avec son fief électoral. Dans son esprit, c’est comme si le nouveau député ne l’était pas vraiment ou comme s’il restait, de fait, un élu de second ordre auquel la circonscription aurait été confiée en fermage avec une assistance ou, en l’occurrence, une surveillance inchangée. Pénélope Fillon, en passant de l’un à l’autre, n’aurait ainsi été que la figure d’une transmission viagère méritant, de ce seul fait, une forme de rétribution.

Voilà pour le droit, si l’on ose dire, tant est tordue cette ligne de défense. S’y on ajoute un argumentaire politique qui, lui aussi renvoie à des questions de fond traitées sur un mode encore plus spécieux. Quel est le statut pénal d’un candidat à la présidence de la République ? Sur ce plan là, François Fillon innove. D’un côté, il annonce que sa mise en examen entrainerait son renoncement immédiat. De l’autre, il explique que son renoncement serait l’équivalent d’un «coup d’État», privant les Français de l’alternance à laquelle ils aspirent. Il en conclut donc que sa mise en examen est non seulement impossible – puisqu’il est innocent, pardi ! – mais qu’elle serait aussi un attentat aux libertés publiques, vu le rôle qui lui a été confié dans la prochaine campagne présidentielle.

Pour le dire simplement, François Fillon exige, comme candidat, une immunité absolue. Celle dont jouissent les parlementaires sur le plan pénal peut être levée sur décision du bureau de l’Assemblée ou du Sénat. Celle dont bénéficie un Président de la République en exercice est totale durant l’exercice de son mandat, sauf cas de «haute trahison», laquelle entraine la convocation d’une Haute cour de Justice, sa destitution et son remplacement par le président du Sénat chargé de l’intérim. Pour François Fillon, le statut de candidat à la présidentielle, mérite une protection supérieure. Pas de mise en examen possible, même avec effet suspensif, puisque ce serait empêcher sa participation à la compétition. Pas de retrait possible non plus, faute de procédure pour le déchoir et organiser son remplacement. Dans un cas, comme dans l’autre, une telle opération serait un déni de démocratie.

Pour verrouiller son affaire, François Fillon va même beaucoup plus loin. La question de la disparition d’un candidat officiel d’un candidat à la présidence de la République en cours de campagne ne s’est jamais posée sous la Cinquième République mais elle soulève, en droit, un problème qu’il faudra bien régler un jour. Là où le candidat des Républicains pousse une fois encore le raisonnement jusqu’aux frontières de l’absurde, c’est quand il prend appui sur son mode de désignation pour revendiquer une protection liée à un statut qu’il n’a pas encore. Pour être officiellement candidat, François Fillon devra attendre que le Conseil constitutionnel valide à la mi-mars ses cinq cents parrainages d’élus. D’ici là, il n’est qu’un candidat putatif, désigné par son parti au terme d’une primaire organisée en novembre de l’année dernière.

Or c’est sur cette primaire et les quatre millions de personnes qui y ont participé que François Fillon s’appuie pour expliquer qu’il jouit d’une légitimité particulière. Et tant pis si la primaire n’est qu’une convention à laquelle s’obligent certains partis. Pour le candidat ainsi désigné, la procédure qui l’a fait presque roi n’est d’ailleurs pas seulement un bouclier démocratique. Elle est aussi ce qui empêche son éventuel remplacement autrement que par la convocation – mais par qui et dans quel délai ? – d’une nouvelle compétition du même ordre. Tout cela, à l’évidence impossible ou cela ne le serait, à la limite, que si l’ensemble des dirigeants de son parti était capable de désigner, par consensus, un champion de remplacement.

Formellement, le candidat Fillon ne réclame pas une immunité. En pratique, il gère cette question de façon telle qu’elle découle logiquement de la position qui est aujourd’hui la sienne. Au nom de la démocratie électorale, il met une pression maximale sur les juges en faisant reposer sur leurs épaules, la responsabilité du bon déroulement de la prochaine présidentielle. Au nom de la démocratie partisane, il contraint son parti à le soutenir, en dépit des doutes qui assaillent ses dirigeants et de la colère qui saisit une partie de ses électeurs.

À partir d’une position d’accusé et de l’extrême vulnérabilité qui en découle, François Fillon prend ainsi en otage l’ensemble du système politique français. Sans doute estime-t-il qu’il n’avait pas le choix pour sauver son honneur et ses ambitions. Cette prise de risque n’est légitime que s’il est innocent. N’aurait-il pas mieux valu qu’il en fasse la démonstration autrement que par des ficelles de com, des acrobaties juridiques et des roulements d’épaules ?