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Retraites : réforme Macron ou réforme Fillon

Retraites : réforme Macron ou réforme Fillon

On trouve dans la littérature situationniste qui eut hier son heure de gloire, des textes qui, dans le contexte actuel, prennent une saveur particulière. Celui-ci, par exemple, en forme d’apologue, que son auteur destinait avec un brin de cynisme aux « politiciens » friands « d’expédients oratoires ». Il met en scène un chef sioux contraint, à l’approche de l’hiver, de réunir sa tribu pour lui annoncer qu’après une année de pluies incessantes, les récoltes seraient faibles et la disette probable. Ne sachant comment prendre son auditoire, il cherche le discours qui pourrait l’apaiser et le trouve avec ces mots : « Mes frères, j’ai deux nouvelles à vous annoncer. L’une est bonne et l’autre mauvaise. Commençons par la mauvaise : cette années, vous n’aurez rien d’autre à manger que de la m… ; et maintenant, la bonne : en compensation, il y en aura pour tout le monde ».

Alors que la bataille des retraites entre dans une nouvelle phase, l’idée n’est pas ici de compter les plumes qui restent sur la tête du Président et de son Premier ministre. Elle est encore moins de prétendre que leur projet revu et expurgé est d’une nature telle qu’il faudrait s’en saisir en se bouchant le nez. Mais dans l’art de la réforme, c’est la présentation et sa pédagogie qui souvent comptent le plus. Sur ce plan-là, il faut bien reconnaitre qu’au sommet de l’État, on n’a pas voulu voir que les chefs sioux d’autrefois ne manquaient ni de talent, ni de rouerie.

Lorsqu’il était en campagne, Emmanuel Macron a préféré commencer par le meilleur – le plus chatoyant, en l’espèce. « Universel », quel joli mot ! Avec lui, on entend égalité et générosité. Cela sonne en tous cas beaucoup mieux que celui d’«unification» qui, d’emblée, était pourtant la réalité concrète du projet que l’on mettait sur la table mais qu’écornait déjà celui d’«individualisation» induit pas le nouveau système. En 2017, c’est d’ailleurs ce que signalait François Fillon. On l’a aujourd’hui oublié, mais à l’époque, le champion de la droite plaidait, lui aussi, pour un régime à points. Il voulait lui aussi unifier le système en liquidant les régimes spéciaux. Ce qu’il reprochait à Emmanuel Macron, c’était de ne garder que le miel de la réforme en oubliant que son équilibre passait, à ses yeux, par le recul à 65 ans de l’âge légal de départ sauf à devoir se résoudre, un jour, à la baisse des pensions.

Certes, avec l’invention de l’âge pivot dont tout indique qu’il garde les faveurs du pouvoir, on incite plus qu’on oblige. Mais le résultat, c’est quand même un mélange persistant des genres. C’est, pour le dire plus crument, une main droite dans un projet qui se voulait progressiste, comme s’il avait été pensé par Terra Nova et rédigé par l’Institut Montaigne. Après tout, pourquoi pas si telle est l’obligation budgétaire du moment, ce qui demande à être plus amplement vérifié! Il reste que, de son point de vue, Laurent Berger a eu raison de se plaindre et le citoyen attentif de vérifier avec lui une double évidence. Ce n’est pas parce qu’un système est « universel »qu’il n’est pas susceptible de déclinaisons divergentes, voire contradictoires. Après tout, nul n’ignore désormais que la fin des régimes spéciaux peut aller de pair – et sans rire ! – avec le respect des situations spécifiques

De même, ce n’est pas parce qu’on parle de réforme que le mieux en termes d’efficacité est nécessairement vécu comme un progrès, surtout lorsqu’on a présenté la bonne nouvelle avant de servir la mauvaise. On ajoutera à cela, soit dit en passant, s’agissant des retraites, que dans une France archipellisée, comme dit Jérôme Fourquet, l’aspiration dominante est sans doute à l’universalisation des régimes spéciaux – bel oxymore – et que l’oublier, c’est installer en retour un conflit entre bloc populaire et bloc élitaire, comme dit Jérôme Sainte-Marie.

Voilà qui éclaire en tous cas le sempiternel débat sur la France irréformable. Emmanuel Macron, une fois élu, a repris publiquement cette antienne sans que l’on sache jamais s’il validait ainsi le constat d’une allergie des Français au changement ou s’il considérait que le système était à ce point vermoulu qu’il était vain de vouloir le corriger plutôt de le transformer entièrement. Réforme ou transformation. Président réformateur ou président transformiste, ce n’est pas la même chose. La seconde figure n’est d’ailleurs pas forcément la moins risquée, surtout si, à l’occasion du débat sur les retraites, l’opinion vérifie qu’en des temps de vaches maigres, Emmanuel Macron a pour seule boussole, cachée au fond de sa poche, l’adaptation du pays grâce à des protections rénovées qui ne coûteraient plus « un pognon de dingue ».

Ce billet a été initialement publié le 15 janvier 2020 dans L’Express.