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Sarkozy aux pieds d’argile

Sarkozy aux pieds d’argile

Lors des attentats de début janvier, François Hollande a su trouver les gestes qu’il fallait : sang-froid et compassion. Il a sauvé sa réputation. Il entre dans sa nouvelle popularité une part de soulagement chez ceux qui, notamment à gauche, redoutaient d’avoir fait une grosse erreur en l’élisant à la présidence de la République, en mai 2012. Manuel Valls, lui, a su trouver les mots qui resteront. Quand on reprendra le film de cette période, son discours devant l’Assemblée nationale résumera à lui seul l’ambiance du moment et le mouvement d’union nationale dont on a vu l’ampleur, dans la rue. Autour du thème de la résistance républicaine, le Premier ministre continue à construire une ligne qui, chez lui, vient de loin et qui, pour cela, a de la force et de la crédibilité. C’est un atout qu’il conservera dans les années à venir, quel que soit le verdict des urnes, en 2017.

Cette double réussite souligne, a contrario, les faux pas de Nicolas Sarkozy. Le premier secrétaire du PS, Jean-Christophe Cambadélis, a fait un constat d’évidence en rappelant ce que chacun a pu constater de lui-même. Au cours de ces dernières semaines, le président de l’UMP, comme son homologue du Front national, «n’a pas été bon». Il a joué à contre-emploi. Avec lui, ni les mots ni les gestes n’ont été adaptés. Lors de sa première visite à l’Élysée, il a tenté de relancer un concept qui, visiblement lui est cher. Après la «politique de civilisation», l’amorce d’une guerre de civilisation. Contre le terrorisme et le dévoiement de l’islam, on ne pouvait être plus mal inspiré. En essayant de s’imposer, quelques maigres instants, au premier rang de la manifestation du 11 janvier, Nicolas Sarkozy a ensuite offert l’image inconvenante d’un leader politique soucieux de son seul statut et prêt à jouer des coudes pour s’imposer, envers et contre tout. Enfin, il a loupé son oral de rattrapage au JT de France 2, le 21 janvier, en laissant entendre que la solution contre le terrorisme était dans l’augmentation des heures supplémentaires dans la police, bref en se comportant comme trop souvent François Hollande, ces dernières années, comme un simple secrétaire d’État au Budget.

Ces loupés successifs chez un homme qui passait pour avoir du flair et de la réactivité ne manquent pas d’étonner. Ils s’inscrivent, qui plus est, dans une séquence qui a débuté, cet automne, avec la campagne interne de l’UMP pour l’élection de son nouveau président. Déjà, à cette occasion, Nicolas Sarkozy avait offert le spectacle d’un responsable politique déréglé, mal à l’aise dans son nouveau rôle et peu préparé à ses nouvelles fonctions. Le doute qui avait germé fin 2014 s’est confirmé début 2015. Tout cela fait sens. Sans doute Nicolas Sarkozy tient-il désormais le principal parti d’opposition républicaine. Sa popularité dans le cœur de l’électorat de droite demeure puissante. Mais sa personnalité que l’on savait déjà très clivante suscite désormais des interrogations qui n’existaient pas auparavant. Elles portent sur le cœur du métier, c’est à dire sur son savoir-faire.

François Hollande raconte volontiers avoir ressenti pareil malaise, le 11 janvier, lorsqu’il a accueilli son prédécesseur sur le perron de l’Élysée puis au cours de leur rapide entretien, dans son bureau. La manière dont Nicolas Sarkozy a saisi la première occasion pour poser, en majesté, entouré des anciens Premiers ministres traduisait, à ses yeux, un étonnant manque de confiance en soi. Le président de la République dit surtout avoir été stupéfait d’entendre son interlocuteur, dans le huis clos de leur face à face, reprendre au vol ses propos anodins sur la nécessité de faire justice le plus vite possible en expliquant que précisément, celle-ci s’était très mal conduite à son égard au cours de ces derniers mois.

Parler moi de moi, il n’y a que ça qui m’intéresse… On connaît la chanson. Elle dit, en l’occurrence, les difficultés d’un ancien président qui rêve de le redevenir et que les circonstances ont contraint à enfiler l’habit d’un chef de parti trop étroit à son goût et surtout peu adapté à ses ambitions intactes. Nicolas Sarkozy joue à contre-temps et à contre-emploi parce que le timing qui s’impose à lui et le rôle qu’il lui faut jouer ne sont pas ceux auxquels il s’était préparé. Il voulait revenir dans le jeu de 2017 le plus tard possible. Il voulait être appelé tel un dernier recours. Il voulait en dire le moins possible d’ici là pour préserver une part de mystère sur ses intentions profondes. C’est l’urgence d’une situation devenue dangereusement insaisissable sur fond d’affaires judiciaires et de cacophonie partisane qui l’a obligé à replonger dans le marigot de la politique. Il l’a fait, qui plus est, dans son registre habituel – mixte de vantardise et d’auto-célébration – en expliquant que, passées les premières épreuves, le terrain se dégagerait immanquablement sous ses pas. On voit aujourd’hui ce qu’il en est vraiment. Après le retour d’Elbe, Nicolas Sarkozy devrait pourtant savoir qu’il y eut les Cents jours et puis surtout Waterloo. Son nouvel ami, Dominique de Villepin, a écrit sur ces choses-là des pages de belle facture que les amateurs du genre auraient intérêt à relire avec la belle biographie qu’Emmanuel de Waresquiel vient de consacrer à Joseph Fouché. Mais c’est une autre histoire…

Janvier 2015, en ce sens, est donc une confirmation. Parler et agir est devenu un problème pour Nicolas Sarkozy. Il l’avait d’ailleurs bien compris à la fin de l’année dernière en s’obligeant, durant toute la période des fêtes et des vœux qui les accompagnent, à une cure de silence médiatique. Face à l’événement des attentats de janvier, il aurait pu choisir le registre d’une solidarité et d’une dignité muette qui n’aurait pas manqué de force, en terme de communication. Il n’a pas résisté à la tentation de se pousser du col. Question de tempérament, dira-t-on. L’explication est un peu courte. Le piège dans lequel Nicolas Sarkozy a sauté à pieds joints découle en fait de sa situation. A force de vouloir être l’unique, le patron de l’UMP se trouve obligé de jouer tous les rôles à la fois. Ce grand mélange des genres brouille son image. Quand il défile, c’est en compagnie de Carla Bruni. Quand il pose sur le perron de l’Elysée, c’est avec Fillon, Juppé et consorts. Quand il s’entretient avec François Hollande, c’est comme un justiciable ordinaire. Quand il parle à la télévision, c’est comme un chef de parti soucieux de refermer au plus vite le chapitre, trop long à son goût, de l’unité nationale.

Tout cela ne révèle pas un mauvais réglage de nature passagère. Nicolas Sarkozy a un seul rendez-vous – 2017 – mais il a désormais plusieurs cartes d’identité. Il lui faut parler et se taire à la fois. Il lui faut rassembler et cliver en même temps. Il lui faut parler aussi bien aux Français qu’aux militants de son parti. L’exercice est d’autant plus compliqué qu’avant d’entrer ouvertement en campagne, il lui faudra franchir l’obstacle de la primaire. Aucune de ces étapes ne fonctionne sur le même registre. Il serait hasardeux d’en conclure illico que l’échec de Nicolas Sarkozy est désormais avéré. Ses concurrents directs – Alain Juppé notamment – et ses adversaires affichés – François Hollande et Marine Le Pen – conservent des faiblesses abyssales. Nicolas Sarkozy reste l’homme fort de la droite mais le colosse, à l’évidence, a des pieds d’argile. C’était écrit. Désormais ça se voit. Cela change tout.