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Sarkozy, l’éternel recours

Sarkozy, l’éternel recours

Il faut chercher pour trouver aujourd’hui, à droite, un responsable politique qui croit encore aux chances de qualification de François Fillon au second tour de la présidentielle. Ceux qui estiment que rien n’est encore joué sont les tenants de la théorie du «trou de souris», chère à François Hollande et développée jusqu’à plus soif par ses amis avec le succès que l’on sait. Ces vieux croyants – c’est leur nature – attendent un miracle : Macron qui se désagrège brutalement, le candidat des Républicains soudain amnistié par son électorat. Ils argumentent en pointant le nombre record des indécis sans voir que cet indicateur est celui d’un manque d’enthousiasme généralisé et non d’une hésitation entre les différentes figures de l’offre soumise aux suffrages des Français. En politique aussi, il y a des choix qui sont à la fois solides et sans passion. À un mois de la présidentielle, on en est là.

La perspective d’une finale opposant Marine Le Pen et Emmanuel Macron place la droite dans une situation totalement inédite. Jamais sous le Cinquième République, elle n’a été éliminée du tour décisif d’une présidentielle. Jamais, à la différence de la gauche, elle n’a eu à choisir dans pareil scrutin entre un candidat d’extrême droite et un candidat extérieur à ses rangs. Là voilà désormais sous le menace d’un 21 avril d’un genre particulier dont le caractère stupéfiant, au sens vrai du terme, ne peut que qu’attenter à son unité, à son intégrité et à sa capacité surtout à rester un parti de gouvernement, digne de ce nom.

Si, au soir du 1er tour, François Fillon se trouve éliminé, se trouvera posée une question que la droite républicaine n’a jamais su trancher définitivement. Front républicain ou stratégie du «ni-ni» ? Appel au vote pour ou au vote contre ? Adhésion franche ou simple refus au nom du moindre mal ? Rien n’indique pour l’instant que l’un ou l’autre de ses principaux responsables ait la moindre intention de rejoindre demain le FN et sa championne dans un front patriotique potentiellement majoritaire. Mais la gamme des positions alternatives reste aujourd’hui trop large en son sein pour que l’impératif d’une ligne clairement affichée ne se fasse pas sentir. Ce qui suppose, à droite, une autorité suffisamment identifiée pour être respectée comme telle par ses multiples porte-paroles.

Par définition, François Fillon ne sera plus celle-là du jour où il aura mordu la poussière. Contesté sans pouvoir être écarté durant la campagne, le candidat des Républicains paiera alors le prix fort de son obstination. Il disparaîtra de la scène dans un mélange de mépris et de colère chez ses anciens supporters. Cette élimination presque physique peut-elle laisser derrière elle autre chose qu’un champ de ruines sur lequel viendront s’agiter des voix rivales et des ambitions d’autant plus fortes que nul ne sera plus en mesure de les contenir ?

Dans ce contexte, le risque sera moins d’un basculement significatif de l’électorat de la droite dans le vote Le Pen que d’un déchirement suicidaire des structures de LR. On voit déjà combien la simple hypothèse d’une élection d’Emmanuel Macron est destructrice pour l’unité du PS. Comment ne pas voir qu’elle le sera également, si l’hypothèse devient réalité, pour un parti dont le centre de gravité idéologique est encore plus éloigné du macronisme présidentiel que ne l’est le vieux logiciel socialiste ? D’où l’extrême difficulté qu’aura la droite, ainsi prise en tenaille, à préserver son équilibre dans la campagne législative où se jouera pourtant l’essentiel, c’est-à-dire la pérennité de sa représentation parlementaire.

Tout parti défait à la présidentielle rencontre le plus grand mal à résister à la vague levée par la victoire du camp adverse. Il lui faut à la fois accepter la légitimité du nouveau Président et contester sa capacité à gouverner en s’appuyant sur une majorité cohérente à l’Assemblée nationale. Jusqu’à présent, personne n’a su marier ces exigences contradictoires. Il serait étonnant que la droite y parvienne, en juin prochain, alors que les clivages traditionnels de la vie politique auront volé en éclat. Vus ses traditions et son tempérament, cela supposerait surtout de sa part une ligne, une cohérence, bref une fois encore, une autorité qui sache faire oublier les soubresauts provoqués par la liquidation de François Fillon et la construction d’une stratégie audible durant l’entre-deux tours de la présidentielle.

À partir de là, existe-t-il un scénario autre que celui du miracle pour sauver la droite républicaine de la déroute, puis de la dispersion et enfin de la marginalisation ? La rumeur qui commence à se répandre d’un retour de Nicolas Sarkozy sur le devant de la scène n’arrive pas par hasard. Il faut avoir l’esprit tordu pour imaginer, comme le font certains stratèges de la gauche, qu’elle serait une ultime tentative pour sauver le soldat Fillon. En quoi d’ailleurs pourrait-elle l’être puisqu’elle vise précisément à rassurer un électorat déboussolé en lui faisant miroiter une solution à la déroute annoncée de son prétendu champion ?

En s’avançant ainsi, via quelques confidences lâchées par ses principaux lieutenants, Nicolas Sarkozy acte surtout la situation de détresse qui est aujourd’hui celle de son camp. Il tire le tapis – ou ce qu’il en reste – sous les pieds de François Fillon. Il se présente, comme il l’avait déjà fait, il y a quelques semaines, comme un arbitre, mi parrain, mi recours. Ce qu’il avait déjà confié en privé, au début du Penélopegate, ce qu’il avait ensuite esquissé pour mieux entraver les rêves d’Alain Juppé, il l’affiche désormais à petites touches dans un contexte encore plus dégradé.

Depuis 2012, Nicolas Sarkozy ne justifie son éventuel retour aux avant-postes du combat politique que par la nécessité de sauvegarder l’unité de son parti. C’est avec un argument de cette eau qu’il a repris la présidence de l’UMP en 2014. C’est en ajoutant de manière acrobatique celui de préservation du modèle républicain face à la menace populiste qu’il s’est lancé en 2016 dans la primaire de la droite. Sans doute a-t-il échoué dans cette bataille-là. Mais cette double exigence – unité et résistance – est devenue une telle urgence que tout concoure en effet pour qu’une dernière fois – gratuitement qui plus est – il fasse don de sa personne aux siens et à la France par la même occasion.

Dès lors que François Fillon est à terre et qu’Alain Juppé a jeté le gant «une bonne fois pour toute», existe-t-il, à droite, une autre autorité que la sienne ? Dans la nouvelle génération des Républicains, nul ne peut prétendre à ce rôle sans provoquer illico une levée de bouclier chez ses rivaux. Le principal atout de Nicolas Sarkozy est de pouvoir combler un vide sans insulter l’avenir. S’il faut appeler à voter pour Emmanuel Macron, il peut intervenir dans l’entre-deux tours de la présidentielle sans contredire la ligne qu’il a toujours défendue contre les tenants du «ni-ni». S’il faut lever les herses contre Marine Le Pen, au nom des valeurs de la République et de l’Europe, il dispose d’un discours rodé de longue date. S’il faut par la suite défendre l’identité de la droite dans la campagne des législatives, il peut s’avancer sans craintes de ne pas être écouté par son électorat. S’il faut enfin trouver un porte-drapeau qui sache entrainer ce qui reste de son camp avec un minimum de crédibilité, il n’est pas le moins mal placé.

Ce retour, venant après tant d’autres qui ont tous échoué, a ceci de paradoxal qu’il peut intervenir en retournant des traits de personnalité d’un homme que l’on croyait promis à une retraite définitive. Ce n’est pas l’ambition mais la situation qui justifie le sacrifice de sa tranquillité. Nicolas Sarkozy, de ce seul fait, redevient potentiellement la solution – fut elle provisoire – à un problème qu’il constate au lieu de l’avoir créée. Pour la première fois depuis qu’il a quitté l’Élysée, en 2012, il n’est pas candidat à la revanche mais à la protection des siens. Voilà même qu’il peut avoir le beau rôle en se payant le luxe d’une sagesse tardive qui, une fois sa mission accomplie – lui permette au passer le témoin, sans trop de casse, à une génération – François Baroin, Laurent Wauquiez – fidèle à son enseignement.

Tout cela est-il possible ? Oui, même si c’est risqué – ou plutôt, surtout si c’est risqué. Est-ce envisagé par le principal intéressé ? Oui, même si l’opération ne fait que commencer en attendant le naufrage définitif de François Fillon. Est-ce enfin le chemin qu’empruntera, bon gré, mal gré, une droite aux abois ? Vu le tour qu’a pris la campagne de 2017, on aura ici la prudence de ne pas transformer une hypothèse crédible en une certitude absolue.

La première version de cet article a été publiée le 25 mars 2017 sur Challenges.fr