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Scrutin rêvé, scrutin réel : la leçon des départementales

Scrutin rêvé, scrutin réel : la leçon des départementales

Mieux que la Sofres, Ispos ou BVA ? Les préfets de la République ! A la veille du second tour des élections départementales, tous avaient été priés de faire remonter leurs pointages, place Beauvau. Résultats, après que le ministère de l’Intérieur ait relevé les copies : 31 départements conservés par la gauche, un peut-être au Front national et le reste à l’alliance UMP-UDI. Bien vu ! Jeudi, quand les nouvelles assemblées auront élu leurs nouveaux exécutifs, on ne sera pas très loin de cette estimation maison, réalisée sans échantillons représentatifs ni redressements aux petits oignons. Les préfets ne sont pourtant ni devins, ni agrégés es-politique. La prudence, chez eux, est toujours de règle. L’hypothèse baroque n’est pas dans leurs habitudes. Mais au moins, eux savent lire.

Les résultats du second tour des élections départementales étaient, pour l’essentiel, contenus dans ceux du premier. Avec un PS sèchement battu mais pas totalement écrabouillé; un Front national à très haut niveau mais pas dominateur; et une droite classique placée en situation idéale pour rafler la mise, en sièges, sans avoir réalisé des miracles, en voix. Dès lors que la gauche divisée ne buvait pas la tasse dans un contexte de participation à peu près convenable, elle restait en mesure de concourir sous ses propres couleurs lors du tour décisif. A partir du moment où elle appelait à faire barrage au Front national, chaque fois que celui-ci était en mesure de l’emporter, elle amplifiait du même coup le succès prévisible des amis de Nicolas Sarkozy. Les préfets, dans leur sagesse, n’ont pas cherché midi à quatorze heures. Et c’est pour ça qu’ils ont vu juste.

Ils le pouvaient d’autant plus que, dans l’exercice qui leur était proposé, leur mission n’était pas d’exprimer des craintes ou des espoirs mais d’analyser cliniquement un rapport de force électoral. C’est ce qui les différencie des pointeurs des différents partis politiques. C’est ce qui explique aussi le curieux climat post-départemental que l’on avait déjà perçu au soir du 1er tour et qui se vérifie à nouveau au lendemain du second. Simplification médiatique aidant, Nicolas Sarkozy monopolise désormais la victoire des siens tandis que Manuel Valls pousse un soupir de soulagement et que Marine Le Pen cache mal sa déception. Il y a dans tout cela beaucoup de raccourcis et de jugements à l’emporte-pièce. Mais il en va de même pour les élections que pour l’insécurité. Le «sentiment» ou, pour le dire autrement, le ressenti des acteurs, a beau ne pas être conforme à la réalité objective, il n’en reste pas moins une donnée politique qu’il faut savoir intégrer à l’heure du bilan.

Le PS, par exemple, aurait pu exploser si les résultats du scrutin avait été ceux que nombre de ses leaders annonçaient. Sans doute, les plus expérimentés d’entre eux avaient-ils intégré que, dans ce genre d’épreuve, mieux vaut annoncer le pire pour se contenter ensuite du mauvais. Il y a encore une quinzaine de jours, il n’était pas rare de croiser des ministres, pourtant connus pour leur flair, qui disaient craindre une Bérézina avec, au final, une douzaine de départements conservés. Avec moins de filouterie, le premier secrétaire, Jean-Christophe Cambadélis, répétait, la semaine dernière, un pronostic qu’il livrait déjà en début de campagne. Selon lui, la gauche, irrémédiablement défaite dans vingt départements, restait intouchable dans vingt autres et il estimait donc que, dans le troisième bloc, celui des combats incertains, il ne fallait pas s’attendre à ce qu’elle fasse des miracles. D’où son pointages : 22 à 23 présidences probablement sauvées.

C’est à l’aune de ces pronostics exagérément pessimistes qu’il faut comprendre comment Manuel Valls a pu expliquer que son parti avait tenu le choc. Le plus étonnant, dans cette affaire, est que le Premier ministre est sans doute sincère. S’il s’est autorisé un Havane, le soir du premier tour, c’est parce que, lui aussi, avait envisagé une catastrophe. Nul ne sait encore comment le premier secrétaire a fêté, dimanche, la défaite de son parti mais il ne fait aucun doute qu’à ses yeux, elle a eu au moins l’avantage de préserver l’essentiel, c’est à dire son poste. Depuis le second tour, le congrès du PS, prévu en juin prochain, se présente sous de meilleurs auspices. Ce qui s’y joue désormais n’est plus un changement de ligne et donc d’équipe dirigeante mais une simple inflexion dans le cadre d’un rassemblement jugé par tous indispensable.

Il en serait allé différemment si, par exemple, la Seine-Saint-Denis, était tombée dans l’escarcelle de la droite, provoquant du même coup un mouvement de panique ou de colère chez un de ces barons roses – Claude Bartolone en l’occurrence – qui assurent tant bien que mal la stabilité de la rue de Solférino. Voilà donc François Hollande en mesure de faire exactement ce qu’il espérait en début de campagne. Le remaniement attendu n’aura sans doute pas lieu à chaud. Gagner du temps quand on se bat le dos au mur n’est sans doute pas le meilleur des réflexes. Mais être en mesure de ne rien changer quand on dispose d’aussi peu de cartes entre les mains, est une situation qui, somme toute, en vaut beaucoup d’autres.

Quand il avait connu semblables déconvenues, du temps où il était encore président de la République, Nicolas Sarkozy n’avait d’ailleurs pas réagi autrement. Il faut relire ce que disaient les uns et les autres en mars 2011 au lendemain des élections que l’on disait encore cantonales. A l’UMP, le message était celui de l’effort dans le redressement sans qu’il soit nécessaire de changer quoi que se soit dans la politique suivie au niveau gouvernemental. A la tête de l’opposition, Martine Aubry, dénonçait, quant à elle, l’autisme d’un pouvoir incapable d’entendre la colère des Français. On connaît la suite : Fillon jusqu’au bout et la nette défaite du président sortant, un an plus tard après qu’entre temps, la première secrétaire du PS ait été battue par François Hollande lors de la primaire de novembre 2011. Tout cela pour dire que dans ce genre d’épreuve, les grands partis de gouvernement sont toujours conservateurs et qu’ils le sont d’autant plus que les défaites qu’il subissent leurs semblent moins sévères qu’ils avaient pu le craindre.

Nul besoin de consulter alors les préfets de la République pour deviner le sort qui leur est promis. Une défaite dont on ignore la leçon en annonce toujours de prochaines. Le rendez-vous pour la gauche et plus particulièrement pour François Hollande est fixé pour 2017. C’est en décembre prochain, lors des élections régionales, que l’on vérifiera si le sang froid dont il se prévaut aujourd’hui était ou non l’expression d’une obstination suicidaire. Aux départementales de mars 2015, c’est Manuel Valls qui a joué sa peau. En décembre prochain, c’est François Hollande qui, en pratique, jouera, au fond des urnes, sa capacité à être candidat à sa réélection. Là encore, tout dépendra autant du nombre les régions conservées par la gauche que des craintes et des espoirs qui auront été les siens durant la campagne. Sur la base du rapport de force constaté lors des régionales, la gauche peut aujourd’hui prétendre conserver quatre ou cinq régions sur les treize nouvellement créées en France métropolitaine. Ce qui serait un résultat honorable que le moindre accident, notamment dans la région capitale d’Île de France pourrait transformer en un échec majeur dont le chef de l’État supporterait, à tort ou à raison, la responsabilité essentielle.

D’autant qu’à cette occasion, on va retrouver, dans un contexte différent, cette question du FN que le résultat des départementales et les estimations qui l’avait précédé ont trop rapidement évacuée. Marine Le Pen n’a pas perdu – loin de là – lors du scrutin des 22 et 29 mars. Mais elle n’a pas atteint les objectifs qu’elle s’était elle-même fixée. Nuance… Elle entendait faire la démonstration au premier tour que son parti restait le plus puissant de France. Elle espérait faire la preuve que, sans alliés, elle pouvait désormais gagner un ou deux départements, comme elle avait su le faire dans les mairies, l’année dernière. Enfin, elle rêvait de faire imploser la droite en lui imposant, lors de l’élection des présidents, des alliances dont ses leaders officiellement ne veulent pas. Là encore, dans un sens inverse de lui du PS, ce sont des anticipations mal maîtrisées qui expliquent la déception des stratèges frontistes alors même que leur parti connaissait, dans les cantons, un succès sans précédent.

Or aux régionales de décembre prochain, vu le mode de scrutin, une partie de ces espoirs peuvent très bien être cette fois-ci satisfaits. Ne serait-ce qu’en raison des difficultés qu’auront alors le PS et la droite à tenir la ligne qui est aujourd’hui la leur. Au second tour, lors des cantonales, en dépit du ni-ni sarkozyste, on a vu comment les candidats de droite et de gauche, ont su, lorsqu’il le fallait, établir un barrage face au Front. Dans la plupart des cas, la solution a été le retrait de celui ou celle qui était le moins bien placé pour vaincre. Mais dans un scrutin de liste comme celui des régionales, retirer une liste entière, c’est se condamner à n’avoir plus aucun élus dans les futures assemblées. Cette perspective est évidemment insoutenable quel que soit le parti concerné. Ce qui ne laisse comme seule solution que la fusion de listes et donc des accords de gestion clairement affichés.

On n’en est pas encore là mais il faut bien voir que si cet obstacle a été franchi tant bien que mal, lors des départementales, c’est surtout parce les grands partis de gouvernement s’étaient fixés des critères de succès ou d’échec qui ne sont pas exactement ceux des électeurs et encore moins ceux des observateurs. Il y a dans la vie politique, une autonomie du jeu partisan qui, lorsqu’elle s’exprime sans fard, contribue à l’étonnement puis à l’exaspération des Français. N’empêche qu’elle existe et à ne pas vouloir l’admettre, on se condamne, une fois encore, à mal mesurer les effets d’un scrutin aux règles plus complexes qu’on ne le dit souvent.