Blog

Vintage Cazeneuve

Vintage Cazeneuve

Bernard Cazeneuve est à Matignon pour à peine cinq mois. Ce bail est trop court pour qu’il puisse en sortir une politique originale. Il est suffisamment long pour imposer un style. Le Premier ministre parle comme il s’habille. Il aime le sobre et l’élégant. Ses phrases tombent aussi justes que le pli de son pantalon et elles sont aussi serrées que ses cols de chemises. Avec lui, pas de grands mots et encore moins de gros mots ! Son prédécesseur aimait à dire qu’en politique, il faut savoir «nommer» les choses, quitte à les surligner, si l’on veut qu’elles soient entendues avant d’être enfin comprises. La langue de Cazeneuve fait le pari inverse. Elle cherche moins la force que la précision. Elle démontre plus qu’elle ne démonte. Elle suggère plutôt que d’asséner.

Parce qu’il se veut «violemment modéré», comme disait Tocqueville, son ancien collègue de la Manche, le Premier ministre est donc l’ennemi des phrases qui claquent et des titres qui s’impriment en gras. Sa première grande interview dans les colonnes du JDD, début janvier, a été, de ce point de vue, un modèle du genre. «Un pacte de résilience contre le terrorisme !». Ce n’est pas avec ça qu’on risque de remonter les ventes et avec elles l’audience des gouvernants. La suite, le lendemain matin sur Inter, était du même tonneau et il n’y a aucune raison pour que ça change dans les semaines à venir.

Bernard Cazeneuve n’est pas homme à casser la vaisselle. Il utilise à Matignon des recettes qui lui avaient déjà servi à Beauvau. Sa sobriété un brin vintage est une manière de montrer qu’il ne cède pas à l’ivresse du pouvoir. Son laconisme lisse est une façon de signaler qu’il se consacre au seul service de l’État. On n’ira pas jusqu’à prétendre que le Premier ministre aime à parler pour ne rien dire. Il est certain, en revanche, qu’il croit davantage au message des signes – et donc à la force de l’exemple – qu’au poids des mots, et donc aux règles médiatiques de la reprise. Le voilà moins silencieux que dans ses fonctions antérieures. Comment pourrait-il en être autrement ? Mais il s’avance à bas bruit sur le devant de la scène avec une réserve tellement ostentatoire qu’on en viendrait presque à ne voir là que conscience professionnelle ou même esprit de sacrifice.

Cette modestie flutée est l’expression d’un caractère souvent farceur qui sait par ailleurs la piètre estime que portent les Français à ceux qui briguent leurs suffrages. Elle est aussi à l’image de la période. Bernard Cazeneuve a été nommé à Matignon pour déminer, un peu comme l’avait été son ancien mentor, Laurent Fabius, en 1984, pour une durée, il est vrai, autrement plus conséquente. Sa mission véritable n’est pas de relancer un quinquennat loupé ni même de réhabiliter son bilan mais de montrer ce que celui-ci aurait pu être s’il avait été un peu mieux maitrisé. Pour cela, les cinq mois qui lui sont impartis sont largement suffisants. C’est même cette brièveté qui lui donne un air de liberté désintéressée. Faire son devoir quand on n’attend rien en retour, au moins sur le plan personnel, n’est-ce pas le comble du chic, lequel ne va pas sans une certaine gratuité ?

Bernard Cazeneuve, dans ce registre, a l’avantage d’être un peu plus crédible que François Hollande. Lui ne s’est pas résigné à sortir bientôt de la partie. Il y entre sur le tard tout en laissant entendre – mais jusqu’à quand ? – que les échéances de mai prochain le rendront de son plein gré à la vie civile. Ministre depuis 2012 des Affaires européennes, puis du Budget et enfin de l’Intérieur, Bernard Cazeneuve n’est que de passage à Matignon. Il ne calcule plus. C’est cela qui précisément fait aujourd’hui sa force relative à la tête d’un gouvernement qui n’en a plus aucune. C’est même ce qui l’autorise à donner à la gauche des cours de maintien alors qu’elle danse au-dessous du volcan.

À son poste, Bernard Cazeneuve est à la fois une synthèse complète et l’expression finale d’un hollandisme présidentiel trop longtemps virtuel. Il est original sans être décalé. Il est, curieusement, une ombre plus nette que son objet, un peu comme si sa fonction était de dessiner, sur le tard, sans qu’il entre dans cette opération la moindre concurrence, le visage d’un pouvoir digne de ce nom ou capable, pour le moins, de susciter des regrets.

Ces regrets valent d’abord pour hier. En ce sens, le Premier ministre, quoi qu’il dise, défend moins un bilan qu’une action. Il vante une direction et une ligne aux effets trop différés pour pouvoir entrainer aujourd’hui une adhésion véritable. Les sondages qui le portent et, avec lui, le président de la République sont moins calamiteux qu’ils le furent autrefois mais rien n’indique que la fracture entre les Français et ceux qui les ont gouvernés depuis 2012 puisse être un tant soit peu réduite avant la fin du quinquennat. Les regrets, s’il y en a un jour, viendront donc essentiellement de ce qui a été mal fait ou alors à contretemps, faute d’une main assez ferme ou d’un esprit suffisamment lucide.

Or, Bernard-le-bref (dans son expression) est aussi Cazeneuve-le-tardif (dans son action). À sa manière, qui est d’abord un style, il peut être celui qui aidera à laisser le souvenir d’une fin de mandat qui, en colorant tout le reste, changera, fut-ce à la marge, le regard des Français sur le règne de François Hollande. On a souvent dit que celui-ci l’avait nommé à Matignon pour avoir la paix et ne pas avoir à surveiller sans cesse ce qui se tramait dans son dos. Sans doute est-ce le cas. Mais ce que montre aussi la lente montée en charge du Premier ministre est peut-être moins tristement banale que la simple gestion d’une impuissance tranquille. Alors que s’écrivent les dernières pages du quinquennat, Bernard Cazeneuve – «au risque d’être démodé», comme il dit – offre à la politique hollandaise ce qui lui a toujours manqué et qui, demain, peut même l’aider à survivre lorsque tout sera fini, c’est à dire une petite touche de nostalgie…

La première version de cet article a été publiée le 2 janvier 2017 sur Challenges.fr