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Comment Tsipras a tout perdu

Comment Tsipras a tout perdu

L’accord signé à l’arraché, lundi à l’aube, par les chefs d’État et de gouvernement de la zone euro est d’une double nature : il évite le Grexit – à condition bien sûr d’être ratifié par les parlements concernés – et il place la Grèce sous la tutelle de ses partenaires qui sont aussi ses créanciers. La faute d’Alexis Tsipras est d’avoir voulu croire – ou voulu faire croire – que ce lien n’en était pas un. C’est à la lumière de cette contradiction qu’il faut lire les péripéties de ces dernières semaines. Vue la situation financière de son pays, le Premier ministre grec ne pouvait à la fois exiger de l’Europe de nouveaux prêts et se libérer, en même temps, des contraintes que ceux-ci induisent. Il ne pouvait rester dans la zone euro et expliquer, seul contre tous, que ses règles de fonctionnement devaient être mises entre parenthèse à son unique profit.

La seule voie praticable, dans ce genre de situation, était celle d’une négociation au bord du gouffre à partir de ce qui était, à l’origine, le principal point d’accord des différents négociateurs, c’est à dire la maintien de la zone euro dans son format actuel. Cela supposait du doigté, de la patience et un sens du compromis sans lequel tout s’écroule nécessairement. Alexis Tsipras a fait le pari que, dans cette partie de bras de fer, il pouvait obtenir mieux ou davantage, en retournant à son profit un rapport de force qui, dès l’origine, lui était très largement défavorable. Il a fini par caner quand il a pris conscience – mais un peu tard – qu’il ne pouvait assumer un Grexit auquel une partie des pays de l’Union, derrière l’Allemagne, était désormais prêt à se résoudre. Quand on se lance dans ce genre de partie, bluffer ne suffit pas. Il arrive toujours un moment où il faut savoir si on suit ou si on ne suit pas. Le risque, quand on fait monter les enchères à ce point, est de devoir payer, en fin de partie, plus cher qu’il n’aurait été nécessaire si on avait été d’emblée un peu plus conciliant…

On vérifie par là même le caractère artificiel de ce référendum que le Premier ministre grec a convoqué dans l’urgence avec la conviction qu’il allait renforcer sa position dans un nouveau round de négociation. Cette consultation populaire n’aurait eu de sens que si la question posée avait été celle qu’un de ces prédécesseurs, George Papandreou, avait imaginée en 2011, dans des conditions à peu près comparables : voulez-vous ou non rester dans la zone euro ? Or Alexis Tsiprasa fait exactement l’inverse. Il a expliqué à son peuple qu’en refusant des propositions européennes – qui d’ailleurs n’en étaient plus – celui-ci allait manifester son désir de rester dans la dite zone. Ce faisant, il serrait un peu plus la lacet qui déjà l’étrangle.

Le message envoyé par le référendum grec du 5 juillet n’était pas de force mais de faiblesse. Alexis Tsipras, en éclairant la scène, de manière aussi brutale, a montré à ceux de ses partenaires qui en doutaient encore combien était inexistantes ses marges de négociation. S’il refusait de poser la seule question qui vaille, c’est bien qu’il connaissait d’avance la réponse. S’il connaissait d’avance la réponse, était-ce bien nécessaire de le faire savoir aussi fortement ? Un référendum, par nature, n’a de sens que s’il exprime un choix. Rester ou partir. Adhérer ou non. Ratifier ou refuser de nouvelles règles s’ajoutant à celles qui existent déjà. Mais dire non pour exprimer un oui – fut-il assorti d’un mais – ou rejeter un plan d’aides ou de réformes pour mieux manifester une volonté de poursuivre au forceps des négociations engagées est un absurdité.

Alexis Tsipras restera dans l’Histoire de son pays comme celui qui a placé son peuple dans une situation où celui-ci a montré en toute liberté qu’il n’était plus maître de son destin. Ceux qui font du référendum le nec plus ultra de la démocratie feraient bien de méditer cette leçon de politique. L’exercice de la souveraineté n’est pas un tour de magie. C’est une construction qui exige des choix. Soit la Grèce décidait de quitter la zone euro – ce qui est parfaitement son droit – mais alors elle devait se préparer aux dures contraintes qu’exige cette indépendance retrouvée. Soit elle faisait le pari de son maintien et alors nécessairement elle devait retrouver la chemin du compromis et de la confiance sans lequel ce genre de communauté ne saurait rester viable.

L’indépendance est un combat. Elle a un coût. L’union est un processus. Elle a un prix. La réorientation de la politique européenne, dès lors qu’un la juge nécessaire, nécessite des alliances qui ne se nouent pas avec des coups de menton. Refuser de se plier à ces lois en opposant les souverainetés nationales aux contraintes d’accords nécessairement majoritaires, c’est revenir de facto aux règles brutes des rapports de force où les gagnants – faut-il s’en étonner ? – sont toujours les plus forts. Le compromis, dans ce jeu là, n’est pas l’arme des faibles mais leur plus sûre protection. La démonstration d’Alexis Tsipras est, en ce sens, un rappel à l’ordre. Elle aura consisté à replacer le débat européen sur le terrain de la politique pure, là où les égoïsmes nationaux et leur intérêts particuliers s’expriment de manière la plus crue.

Le Premier ministre grec ne pouvait sortir de ces ambiguïtés qu’à ses propres dépens jusqu’à ruiner les arguments, notamment économiques, qui pouvaient faire bouger l’Europe telle qu’elle avance au gré des desideratas de l’Allemagne et de ses satellites. Au terme de cette épreuve de vérité, on pourra toujours dire que l’Union a fait la preuve de sa solidité et que ce projet, à la taille du Vieux continent, conserve, au sein de la crise qui le travaille, l’élan vital qui le justifie encore. Il n’est pas sûr en revanche qu’Alexis Tsipras ait servi les idées qu’il prétend défendre en livrant, de manière aussi frustre, un combat dont on mesure aujourd’hui combien il était téméraire. L’héroïsme a son charme. Mais quand il ne débouche que sur la résignation, de manière aussi spectaculaire, ce n’est hélas qu’une posture inutile.