Blog

Dans la tête de Tsipras

Dans la tête de Tsipras

D’un strict point de vue politique, le discours qu’a prononcé Alexis Tsipras à la télévision, dans la nuit de vendredi à samedi, constitue une curiosité. Le Premier ministre grec y annonce la tenue d’un référendum sur ce qu’il appelle «l’ultimatum» lancé à son pays par les autorités européennes. Mais c’est surtout la manière dont il justifie cette décision et dont il envisage ses effets, pour son pays et pour lui-même, qui mérite d’être examinée de près.

Tsipras estime avoir reçu un mandat impératif lors des élection du 25 janvier qui l’ont porté à la tête du gouvernement grec. Il en dit l’essentiel en quelques mots : «mettre fin à l’austérité». Sur cet objectif, précise-t-il, «nous n’avons pas un seul instant envisagé de céder». Au delà du procédé rhétorique – quel gouvernement a-t-il jamais annoncé à son peuple qu’il avait pensé le trahir ? – on mesure combien, dans les longues négociations qui se sont déroulées à Bruxelles depuis cinq mois, les marges étaient faibles dans la recherche d’un compromis acceptable par toutes les parties. Dés lors qu’on en restait à un affrontement de principe – les règles de l’Union d’un côté, le mandat du peuple grec de l’autre – l’échec était écrit d’avance. Tsipras l’assume mais à partir de là, on voit mal pourquoi il soumet à référendum un protocole d’accord qui précisément n’en est pas un puisqu’il n’a pas été signé par les autorités de son pays.

Si le Premier ministre grec pense avoir respecté son mandat – ce qui, en l’occurrence est le cas – le plus logique aurait été qu’il se tourne vers ses partenaires européens pour leur dire, tout simplement, qu’au nom des pouvoirs qui lui ont été conférés, il refusait de céder à leurs exigences. Point final. La vérification que Tsipras annonce, via un référendum, n’aurait de sens que si, précisément, il avait le sentiment d’avoir interprété son mandat en faisant des concessions ou même en cédant sur des points qu’il n’avait pas prévu. Or c’est précisément l’inverse que ce qu’il prétend aujourd’hui.

Tsipras va d’ailleurs encore plus loin dans la contradiction lorsque, dans son discours télévisé, pas une seule fois il ne dit explicitement ce que sera la consigne de vote de son gouvernement lors du référendum qu’il vient de décider «à l’unanimité». Il suffit de lire son texte, dira-t-on, pour la comprendre. Il n’empêche que tout cela n’a pas été dit à chaud et qu’il a fallu attendre que le Premier ministre reprenne la parole devant la Parlement grec, dimanche, pour que le mot fatidique – non ! – soit enfin prononcé. Ce qui n’est pas un détail.

«Je vous appelle tous et toutes, dans un même élan national, dans l’unité et la sérénité, à prendre les décisions que nous méritons»: la conclusion ô combien ambiguë de l’allocution télévisée du 27 juin pose en fait la question du statut exact de la consultation référendaire prévue pour le 5 juillet prochain. Soit c’est une vérification de mandat, soit c’est un appel au combat. Soit c’est une étape dans un processus de négociation qui n’est pas achevé. Soit c’est une fin de non-recevoir qui signifie la rupture définitive avec les conséquences que chacun imagine.

On retrouve là un problème vieux comme la procédure référendaire. Quelle est la question posée ? Et, au delà, de la question, quel est le sens exact que les électeurs entendent donner à leur réponse. Tsipras complique d’ailleurs encore la donne lorsque, pas une seule fois, il ne dit les conclusions qu’il prévoit de tirer de cette consultation. «Je m’engage à respecter le résultat de votre choix démocratique, quel qu’il soit», a-t-il annoncé. Ce qui est la moindre des choses quand on se prétend démocrate. Mais au delà, cela signifie-t-il que Tsipras est prêt à rester chef du gouvernement, si le protocole d’accord est validé par le vote du 5 juillet ? Le respect du «choix» grec, est-ce, à ses yeux, la démission de son gouvernement ou la reprise par celui-ci, sur de nouvelles bases, des négociations engagées à Bruxelles ?

Ce faisant, Tsipras se place dans une situation qu’on peut juger habile au regard des contradictions de sa majorité mais dont on voit bien qu’elle n’est pas tenable, fut-ce à court terme. La logique de son discours du 27 juin est celle à la fois d’un référendum consultatif au moment même où la Grèce est au bord du gouffre et d’un appel au peuple dans le respect d’un mandat qui pourrait ne plus être conforme à celui du 25 janvier. Au fond, Tsipras demande à son peuple de choisir à sa place, quitte à se déjuger. Après tout, pourquoi pas… Mais après avoir tardé à dire explicitement sa position personnelle, il donne aussi le sentiment de vouloir rester extérieur à une consultation qui le concerne pourtant au premier chef.

Tous ces flottements ne sont sans doute que provisoires. Inévitablement, Tsipras sera vite conduit à engager sa responsabilité personnelle dans une campagne trop courte – une semaine – pour ne pas l’obliger à des clarifications auxquelles il s’est refusé en engageant cette partie décisive. Les silences, les impasses et les ambiguïtés de son discours du 27 juin découlent d’enjeux internes à la vie politique grecque. Ils sont inhérents à la procédure choisie – celle du référendum – qui est à la fois le comble de la démocratie et le pis d’une forme de césarisme. Elles disent surtout qu’au delà du référendum lui-même, c’est l’annonce même de cette consultation qui constitue l’événement.

Tsipras, une fois encore, joue à quitte ou double parce qu’il n’a plus entre les mains que des cartes mineures et que, dans ce genre de situation, la seule solution est de menacer de renverser la table. Au fond, ce n’est pas au peuple grec qu’il s’est adressé le 27 juin mais à ses partenaires européens. Son référendum n’est pas un projet mais une menace pour l’Europe. En ce sens, il ne peut réussir que s’il est annulé. Et il ne peut l’être que si Bruxelles recule. On n’en prend pas le chemin mais telle est bien l’intention.