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La droite à double lame

La droite à double lame

Il fut un temps où la gauche, avant d’arriver au pouvoir, annonçait «la rupture en cent jours». C’était une façon de signaler la radicalité de son projet et surtout son désir de bousculer l’ordre établi, d’emblée et si possible de manière irréversible. Il entrait dans tout cela une part de romantisme pseudo-révolutionnaire, comme si son destin n’était pas de gouverner dans la durée mais d’éclairer l’Histoire lors de courtes et intenses «expériences».

Avant son élection, François Hollande avait combattu ce type séquençage dont il craignait qu’il n’encombre l’esprit de ses camarades et au delà, les espoirs de nombre de ses électeurs. Alors que son mandat s’achève dans les conditions que l’on sait, le thème de «la rupture» – rapide, profonde, complète – a changé de camp. Face à la gauche qui, au mieux, n’envisage plus son salut que dans «la résistance», c’est désormais l’ensemble de la droite républicaine qui le décline sans complexe.

Certains de ses candidats potentiels en pincent pour le référendum (Sarkozy, Le Maire, Fillon) et d’autres pour les ordonnances (Juppé). Mais, au fond, c’est égal. Aucun d’entre eux ne se contente d’annoncer «le changement». Tous veulent taper vite et fort, sur le terrain économique et social essentiellement, et cela dès le lendemain de l’alternance. Autant qu’un projet, ils annoncent une méthode.

Cette stratégie peut sembler paradoxale. C’est au moment où sa victoire est totale sur le plan des idées que la droite découvre l’urgence d’une bataille politique devenue pourtant sans objet. Elle a gagné dans les têtes. Elle va gagner dans les urnes. Le libéralisme règne en maître. La pensée sécuritaire et identitaire a envahi le débat public. La gauche, ou ce qui l’en reste, est dans les choux, soit parce qu’elle ne sait plus ce qu’elle pense, soit parce qu’elle ne croit pas à ce qu’elle dit. Plus grand chose ne s’oppose donc au grand basculement sur fond de normalisation.

Or au lieu de surfer sur la vague, les tenants de «la rupture» n’ont qu’une idée en tête. Durcir des clivages devenus pourtant incertains. Accentuer des tensions là où elles sont désormais résiduelles. Mettre en scène des urgences là où la réforme pourrait avancer au rythme de l’évidence. À ce jeu, ils sont même en train d’offrir au Président sortant une ultime bouée de sauvetage sur le thème éculé du dialogue et de la modération.

Sous la Cinquième République, la droite a déjà expliqué plusieurs fois fois que l’alternance dans les urnes était un leurre dès lors elle n’ouvrait pas la voie à une remise en ordre sur le front économique et sociale. Mais jamais, depuis de Gaulle, elle n’avait adoptée avec une telle unanimité cette stratégie qui consiste à redoubler la rupture au point de laisser croire que la seconde serait la condition absolue de sa réalisation effective.

Pour être élus, Pompidou et Giscard ont ainsi appelé au changement dans la continuité. Chirac, en 1995, voulait réduire une «fracture» – sociale en l’occurrence – sans avoir jamais dit comment il comptait bien s’y prendre. On a vu le résultat. Juppé peut en témoigner. Enfin Sarkozy, en 2007, a pris la précaution d’utiliser «l’ouverture» comme couverture d’une énergie retrouvée.

Bref, à chaque fois, les champions de la droite ont entamé leur mandat sur le thème du rassemblement. La seule rupture qu’ils aient assumé en arrivant au pouvoir était de style. Pour le reste, ils ont procédé à des inflexions de lignes, plus ou moins maîtrisées, avec l’idée que les institutions leur donnaient les moyens d’agir dans la durée sans qu’il soit nécessaire de se précipiter plus que de raison.

À partir de là, comment expliquer que la droite républicaine choisisse aujourd’hui d’abandonner ses traditions les plus avérées alors que, sur le papier, le contexte politique lui donne l’occasion d’une victoire naturelle dictée, au delà du rejet de l’adversaire, par l’adhésion de l’opinion à ses valeurs constantes ? La réponse, c’est la primaire.

Celle-ci a un effet excitant. Elle nourrit la surenchère. Elle incite à la radicalité. Elle pousse la droite là où elle penche. Rien de plus normal : c’est une compétition interne. La gauche, dans cette exercice, en 2011, recherchait le candidat le mieux placé pour gagner. Le cœur de son électorat le voulait modéré. Ce fut Hollande. La droite, en 2016, cherche une martingale du même genre, sauf qu’elle attend, pour sa part, un champion qui soit décomplexé. C’est le problème de Juppé.

Si on y regarde d’un peu plus près, les programmes des différents candidats – ordre et sécurité, libéralisme économique et flexibilité sociale – ne sont pas fondamentalement différents. Ceux qui jouent gagnant cherchent des points d’équilibre. Ceux qui sont challengers cherchent des angles. Les uns et les autres ne n’avancent pas au même rythme. Ils se distinguent plus par des postures que par des idées. Tous, en revanche, sont dans la même épure qui est celle d’une droite qui affiche clairement la couleur avec à la certitude d’être à nouveau dans le sens de l’Histoire.

C’est dans ces conditions que s’est imposé le thème de la rupture dans la rupture. Il sert de marqueur. Il atteste de la détermination des candidats à remplir leurs promesses, le moment venu. L’enjeu n’est pas mince aux yeux d’une opinion qui doute. Dans la primaire de la droite, en effet, personne n’est vraiment vierge. Sarkozy, Fillon et, avant eux, Juppé, ont déjà exercé les responsabilités du pouvoir au plus haut niveau. Le Maire, NKM ou même Morano ont été ministres dans un passé récent.

À un titre ou un autre, ils sont donc tous comptables de l’inefficacité puis des échecs de leur camp. C’est d’ailleurs ce que leur reproche la fraction de leur électorat qui s’est laissée séduire par le Front national. Pour la convaincre que, cette fois-ci, le changement serait bien au rendez-vous, les candidats à la primaire, quel que soit leur statut, ont été contraints de donner des gages. Le peuple de droite, au sens large, attend des actes et non des mots. Quelle meilleure réponse que la mise en place, dés le lendemain de la présidentielle, de procédures garantissant, via le référendum ou les ordonnances, le changement annoncé ?

Cette stratégie de la double lame est à usage interne. Elle vise à lever des doutes qui sont propres à l’électorat de droite. La question n’est donc pas de savoir s’il s’agit là d’une concession superfétatoire ou d’un engagement dirimant. Tous les candidats de la droite l’ont reprise à leur compte pour la simple raison qu’il ne pouvaient pas faire autrement sauf à nourrir ces soupçons qui sont l’ordinaire d’une bataille de primaire.

Aussi curieux que cela puisse paraître, elle ne pose donc de problème que par rapport à la gauche et à la nature de la compétition qui est en train de s’ouvrir avec elle. Le moindre n’est pas de lui redonner des arguments vis à vis de son propre électorat, aujourd’hui déçu ou démobilisé, demain peut-être requinqué lorsqu’on agitera sous son nez le spectre d’une éternelle réaction désormais prête à aller jusqu’au bout de ses rêves de rupture. Mais l’essentiel n’est pas là. Il découle plus largement des conditions prévisibles du second tour de la prochaine présidentielle.

L’hypothèse la plus forte est que la gauche n’y participera pas directement. À ce détail près que dans le choc entre le champion de le droite et Marine Le Pen, ses voix, comme en 2002, seront décisives dans le choix du vainqueur. Il est peu probable que l’année prochaine, le candidat des Républicains puisse franchir au 1er tour la barre des 30%. Dans le pot final de sa majorité, si tout se passe normalement, une moitié des suffrages viendra donc d’un camp qui n’était pas le sien, à l’origine. Ce qui ne pourra pas rester sans influence sur la suite des opérations.

Chirac, dans ces mêmes circonstances, avait cru pouvoir ignorer ceux qui l’avaient ainsi fait roi. Il est vrai que sa majorité était d’une telle ampleur – 82% – que ses contours exacts avaient alors perdu toute réalité concrète. En 2017, on voit mal un candidat de la droite réaliser pareille performance face au FN. Dans la foulée, la question d’une recomposition politique de grande ampleur se posera immanquablement, ne serait-ce que pour franchir sans encombre l’épreuve des législatives. Sur ce terrain là, Juppé a d’ailleurs posé publiquement de premiers jalons.

Mais, quel que soit l’identité du prochain Président, comment celui-ci pourra-t-il concilier cette concentration républicaine associant tous ceux qui, à droite et à gauche, auront contribué à son élection et le projet de double rupture qu’il aura porté tout au long de sa campagne ? D’un côté, il aura été désigné, lors de la primaire sur la promesse d’une totale radicalité. De l’autre, il aura été élu sur le constat du nécessaire compromis.

Or c’est dans cette contradiction que les champions potentiels de la droite se laissent aujourd’hui entraîner, sans voir pour les uns, en faignant de ne pas voir pour les autres, tout ce qu’à terme, celle-ci comporte d’explosif. La stratégie de la double lame, appliqué à la politique économique et sociale, n’a de sens que dans le cadre d’un affrontement classique entre la gauche et la droite, au second tour de la présidentielle. Dans tout autre cas de figure, elle est inopérante et surtout potentiellement destructrice.

On reconnaîtra que c’est beaucoup demander à la droite que de faire ses propres arbitrages tout en favorisant la renaissance d’une gauche digne de ce nom ! D’autant que le cœur du problème est le niveau du FN… Mais c’est en tous cas, de sa part, une curieuse idée que d’ignorer à ce point, à grands coups de mentons, l’équation probable de 2017. Non pas l’alignement mais le réagencement. Non pas le binaire à l’ancienne mais la réinvention de clivages pertinents. Non pas l’économique et le social mais la politique pure. Tout simplement.