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Hollande en marche

Hollande en marche

Quiconque voudra savoir ce qu’est la gourmandise lorsqu’elle confine à la jouissance devra désormais se reporter – pour le son et l’image – à ce moment du sommet franco-allemand de Metz, le 7 avril 2016, au cours duquel François Hollande a commenté la création par Emmanuel Macron, la veille à Amiens, d’un mouvement sortant des sentiers battus de la politique. Ce fut court mais intense. Étonnement feint, phrases à double détente, fausse retenue, jeux de regards amusés avec l’intéressé, le tout sous couvert d’une banalisation apparente de l’événement : dans le genre, on a rarement fait mieux et il y avait longtemps, en tous cas, qu’on n’avait pas vu le Président dans un pareil état.

Tout cela dit un tempérament et une manière de faire. François Hollande est joueur. Quand il lance la balle, il adore que d’autres viennent courir après elle, surtout si c’est pour la lui rapporter illico. Dans le langage des signes qui est celui de la politique, il voulait accréditer l’idée que sa candidature en 2017 est désormais une évidence. Comme celle-ci précisément ne l’est pas, il fallait que d’autres fassent le travail à sa place. De ce point de vue, Emmanuel Macron est un parfait complice.

«En marche !» montre que ça marche ou tout au moins, que ça peut marcher. Ceux qui, plus tard, écriront la chronique des dernières aventures présidentielles de François Hollande, noteront sans doute que tout cela a commencé avec le discours d’Amiens et le commentaire de Metz. Rien ne garantit que cette opération en deux temps ait l’effet escompté par ceux qui l’ont initiée. Au moins signale-t-elle une intention. Ce qui, dans le contexte, n’est pas rien !

Pour espérer imposer sa nouvelle candidature, le Président sortant ne peut resté confiné dans le cadre classique de la gauche officielle. Trop de divisions, trop d’aigreurs et de ressentiments surtout. Même s’il parvient à maîtriser les appareils de ce qui fut autrefois son camp, François Hollande ne peut espérer faire bonne figure dans la compétition de 2017 sans avoir fait bouger auparavant les lignes.

Le clivage gauche-droite n’est peut-être pas aussi obsolète qu’on le dit ici ou là. Mais vu le rapport de force entre ces deux blocs, il faudrait être diablement innocent pour s’enfermer dans le carcan de celui qui est désormais le plus faible. Or qui peut croire que François Hollande le soit soudain devenu ? C’est parce qu’il est dans les cordes qu’il cherche à modifier les codes. C’est parce qu’il manque d’oxygène qu’il a besoin d’air frais. C’est parce que son navire est encalminé qu’il encourage désormais le mouvement, d’où qu’il vienne pourvu qu’il soit à son service.

Emmanuel Macron était devenu, depuis quelques temps, une force de perturbation stérile au sein du gouvernement. En laissant dire qu’il était un successeur possible de Manuel Valls à Matignon, il déstabilisait l’ensemble de la majorité. En affichant son ambition de participer demain, coûte que coûte, à une hypothétique primaire de la gauche, il donnait le sentiment d’être un acteur de l’après-Hollande. Tout cela est fini, au moins provisoirement. Il aura fallu pour cela qu’à Bercy, on comprenne que le rythme naturel de la politique est la marche en bon ordre plutôt que la course en solitaire et que pour avancer, même quand on est pressé, il n’est pas nécessaire de sauter toutes les haies à la fois.

Avec le lancement de son propre mouvement, à l’écart du PS et même de la gauche, Emmanuel Macron redevient ce que le Président a toujours voulu qu’il soit. Non pas un ministre indiscipliné ou un rénovateur ordinaire mais une pièce originale dans un dispositif dont le cœur ne saurait battre ailleurs qu’à l’Élysée. Un jour qu’on l’interrogeait sur le statut exact de son ancien conseiller, François Hollande avait expliqué que, dans une majorité, quelle qu’elle soit, il fallait bien que quelqu’un incarne l’élan, la nouveauté, voire même une forme de transgression. Pour illustrer son propos, il avait alors cité quelques noms d’un temps ancien avant de tomber sur celui qui lui semblait être le plus approprié : Tapie.

«Un Tapie honnête», avait-il aussitôt ajouté. À travers cette comparaison taquine, François Hollande montrait qu’il n’avait pas oublié la seconde phase des années Mitterrand. Avant de faire du sulfureux «Nanar» son ministre de la Ville, l’ancien Président avait utilisé son «énergie radicale». Il avait voulu que son mouvement soit une des pièces de «l’ouverture» prônée lors de la campagne de sa réélection en 1988 puis un des éléments de sa nouvelle majorité lorsqu’il avait vu le PS échapper à son contrôle lors du congrès de Rennes. Son calcul était alors que Bernard Tapie, par son style et son discours décalé, était seul en mesure de ramener à lui des secteurs de l’opinion, souvent dépolitisés, auxquelles la gauche officielle ne savait plus parler.

Le contexte est aujourd’hui très différent. Mais comment ne pas voir qu’Emmanuel Macron, à son tour, est le visage d’une génération née à la politique active après l’alternance de 2012, formée à l’exercice du pouvoir dans les premières années du quinquennat et promue alors que celui-ci s’achève dans les conditions que l’on sait ? Emmanuel Macron, c’est la «Génération Hollande» à l’état pur. Il ne la résume pas mais son ambition en marche est là pour prouver que l’aventure continue et qu’elle peut ne pas s’arrêter en 2017.

François Hollande veut croire qu’il a encore les moyens d’être le grand ordonnateur de ce passage de témoins. Pour cela, il lui faut montrer que sa nouvelle candidature est l’unique moyen de le rendre possible. Du coup, il retourne le problème. Ceux qui piaffaient hier d’impatience au risque de le pousser dans le fossé sont désormais présentés comme les futurs héros d’un mandat renouvelé. Pour les calmer, on leur offre au passage un statut et une trajectoire de carrière qui, dans la pire des hypothèses, pourra leur permettre, au besoin, de réclamer une part de l’héritage.

Emmanuel Macron, sous le signe d’un libéralisme qui n’est ni de droite, ni de gauche, est une des couleurs possibles du nouveau hollandisme. Comme l’est d’ailleurs Manuel Valls, sous la signe d’un républicanisme de combat. Qu’importe, aux yeux du Président, que ces deux-là soient rivaux pourvu que leur compétition soit programmée pour de lointaines échéances et qu’ils se contentent, pour l’instant, de n’être que les artisans bénévoles de sa réélection.

Le Président enrôle sans complexe. Il accompagne le mouvement d’où qu’il vienne sans chercher à sonder les reins et les cœurs de ceux qui l’ont initié. Il le fait d’autant plus volontiers qu’il n’a plus grand chose en magasin. Son bonheur de Metz, celui qu’il ne voulait pas masquer, dit un espoir et un soulagement. Pour une fois que quelque chose marche dans le sens espéré, il aurait fallu qu’il soit particulièrement pisse-vinaigre pour doucher des ardeurs de son ministre de l’Économie.

Est-ce que ça marchera ? On peut rester sceptique tant est miné le chemin de la reconquête. N’empêche que ce petit «bouger» est le signal d’un redémarrage. Il y a des moments, en politique, où il faut savoir se contenter de peu.

La première version de cet article a été publiée le 9 avril 2016 sur Challenges.fr