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Pourquoi Cambadélis est-il si nerveux ?

Pourquoi Cambadélis est-il si nerveux ?

Jean-Christophe Cambadélis est nerveux. Pour ceux qui le connaissent, l’étonnant n’est pas qu’il le soit mais qu’il le montre avec autant d’ostentation. Présent sur tous les fronts, volontiers agressif avec les médias, le patron des socialistes n’est plus le nouveau sphinx de l’après-congrès de Poitiers, heureux d’avoir réduit l’influence des frondeurs et d’avoir redonné, du même coup, cette colonne vertébrale qui faisait tant défaut à son parti depuis l’accession de Hollande au pouvoir. Cambadélis tweete à vue et, à chaque fois, c’est pour chercher la polémique ou, pour le moins, la formule choc, comme lorsqu’il accuse Le Monde de vouloir «faire la peau du PS».

Sur le fond, il n’a pas forcément tort. Depuis quelques temps, Solférino est une forteresse assiégée que les commentateurs, surtout s’ils sont de gauche, canardent systématiquement et pas toujours à bon escient. Dans l’affaire du référendum pour l’unité de son camp, par exemple, les sarcasmes qui se sont abattus sur Cambadélis avaient quelques chose de très exagérés. Sans doute aurait-on pu éviter d’appeler d’un mot aussi pompeux ce qui n’était qu’une pétition de grande ampleur. Mais quelle indignité y avait-il à rappeler l’ensemble de la gauche à ses devoirs unitaires alors que chacun convient, s’il est un peu de bonne foi, que le comportement des écolos, dans les régions où le FN pointe en tête, est d’une rare bêtise ? Y compris d’ailleurs, du point de vue de leur seul intérêt boutiquier…

Pour autant, un responsable au cuir aussi tanné que Cambadélis devrait savoir que lors qu’on joue l’union à la base, on se frotte naturellement aux appareils de toutes sortes, fussent-ils médiatiques. C’est même dans cette confrontation que se joue le succès espéré de pareille opération. Sauf à croire que la colère du premier secrétaire est un peu surjouée – ce qui ne semble pas être le cas – il faut donc rechercher d’autres causes et d’autres explications à son comportement.

Pour comprendre, mieux vaut prendre au pied de la lettre ses dernières philippiques. Quand il n’évoque pas les intentions homicides de tel ou tel média, Cambadélis parle, un peu plus sobrement, d’une «tentative de disqualification» de son parti. De fait, tel est l’enjeu. Rien ne permet de dire à l’avance que les régionales de décembre seront l’occasion d’une «raclée» historique dont les socialistes paieront en priorité la facture. Pour le moment, leurs candidats semblent encore en mesure de conserver trois régions sur treize, en France métropolitaine, et les jeux restent serrés dans deux ou trois autres. Ce n’est pas le Pérou mais de là à annoncer une Bérézina, il y a quand même une sacrée marge. La droite, à plusieurs reprises, en 2004 et 2010, et avant elle, la gauche en 1992, ont connu des déroutes de toute autre ampleur, sans que pour autant leur existence ait été remise en question. Après tout, Nicolas Sarkozy n’a-t-il pas été élu président de la République, tout juste trois ans après que son camp, avec Chirac, n’ait conservé, de haute lutte, que l’Alsace et la Corse ?

L’originalité du scrutin de décembre prochain – celle qui rend Cambadélis si nerveux – est donc ailleurs. Pour comprendre, il faut tenir compte de la nature de sa fonction à la tête du PS. Que risque-t-il en tant que premier secrétaire ou, pour le dire autrement, quel est le danger qui le menace spécifiquement ? Pour Hollande ou Valls, cette menace est personnelle. Une trop lourde défaite hypothéquerait lourdement les chances de réélection de l’un et menacerait la position de l’autre comme chef du gouvernement. Cambadélis n’est pas dans cette situation. Il a été élu premier secrétaire au printemps dernier et il le restera, quoi qu’il arrive jusqu’au lendemain de la prochaine présidentielle. C’est là qu’on en revient au point de départ. La menace qui pèse sur le PS est d’abord collective. Elle le concerne en tant qu’organisation. La danger pointé par son premier secrétaire est moins dans l’ampleur d’une défaite annoncée que dans les conditions concrètes de celle-ci.

L’appareil socialiste – on ne le signale pas assez – est étroitement imbriqué aux exécutifs régionaux. On ne compte plus le nombre de ses responsables fédéraux dotés d’un tel mandat. Les municipales puis les départementales ont déjà affaibli un maillage qui, localement, a permis autrefois au PS de traverser les pire épreuves avant qu’il ne retrouve le chemin de la victoire, au niveau national, dans le jeu classique de l’alternance républicaine. Sans une force régionale digne de ce nom, le PS serait, demain, privé de ces oasis où ses cadres ont pris l’habitude de patienter en attendant des jours meilleurs.

Le risque est important et il justifierait à lui seul la nervosité de Cambadélis. Il va pourtant bien au delà. Le patron du PS le sait d’autant mieux qu’il a été le premier à théoriser le nouveau monde tripolaire qui structure désormais le paysage politique français. Dans un tel système, malheur à qui arrive le troisième lorsque la force principale n’est pas un adversaire classique mais un ennemi affiché. C’est en cela que les régionales de décembre mettent en cause l’existence du PS comme force politique utile, dans un cadre démocratique. Là est la véritable angoisse du premier secrétaire et on comprend, du coup, l’acharnement qu’il a mis à exiger de son allié écolo les listes d’union, seules capables de le sortir de ce piège mortel.

Quand dans une région, le FN pointe en tête, le PS n’a plus le choix de sa stratégie. Il se retrouve privé de toute marge de négociations. La fusion, au second tour, avec la liste la mieux placée pour résister – la droite en l’occurrence – lui ferait perdre toute originalité et, du coup, toute justification d’une existence autonome. Le retrait pur et simple le rayerait d’une carte régionale dans un cadre qui n’est pas mince depuis les regroupements voulus par le gouvernement de Manuel Valls. C’est pourtant entre ces deux périls que le PS va sans doute devoir naviguer aussi bien en PACA que dans le Nord-Pas-de-Calais-Picardie.

Ces régions ont été longtemps le fer de lance de l’appareil socialiste. C’est là que se recrutaient ses plus gros bataillons militants et, pour ne rien gâter, on devine déjà que ses stratèges locaux hésitent entre des lignes contradictoires qui tiennent, pour l’essentiel, à la personnalité des chefs de file de la droite. Estrosi n’est pas Bertrand, c’est une évidence. Et pourtant, on voit mal comment le PS, en tant qu’organisation nationale, pourrait supporter des comportements à la carte, sauf à prendre le risque de devenir un navire sans quille, ballotté au gré des vents dominants.

C’est pourtant vers cela qu’on s’achemine. L’histoire du PS, depuis sa fondation au congrès d’Epinay, en 1971, est celle d’un parti qui s’est progressivement imposé comme une force de gouvernement. Il lui a fallu pour cela prendre le dessus sur le PC dont la domination bloquait, de facto, toute possibilité crédible d’alternance. Sous la houlette de François Mitterrand, il s’est coulé dans le moule des institutions de le Cinquième République et du même coup, il a été en mesure de revendiquer, à gauche, le monopole durable et ô combien précieux de l’opposition à la droite. Il lui est arrivé de chuter, et parfois lourdement. Mais jamais, il n’a perdu cette réputation, garante de son influence, au delà des aléas inhérents à la vie électorale. C’est un système qui fonctionnait à la perfection dans un cadre bipolaire. C’est ce même système qui naturellement se grippe quand il devient tripolaire et surtout qu’il se résume à une compétition entre la droite classique et un FN désormais aux portes du pouvoir.

Bien sûr, il y a eu le précédent du 21 avril 2002. Mais cet épisode était accidentel en cela qu’il n’avait pas été voulu et surtout assumé par l’ensemble de la gauche en dépit de ses divisions suicidaires. On a pu d’ailleurs constater, après coup, la puissance d’un remord qui a permis au PS de retrouver son assise traditionnelle tant à l’occasion des élections locales que lors du scrutin présidentiel de 2007. On a même pu croire un moment que l’existence d’un FN à haut niveau, dans des triangulaires alors assassines pour la droite, garantissait aux candidats socialistes une forme de domination sur l’ensemble du jeu politique. Or c’est l’effet inverse que produit aujourd’hui la nouvelle progression d’une force frontiste, prétendument dédiabolisée.

Les 21 avril régionaux qui menacent le PS sont le fruit de la stratégie irresponsable de ses alliés mais aussi la conséquence de la désaffection de son électorat traditionnel. Ils installent un nouveau paysage politique dont on aurait tort de croire qu’il n’est que provisoire. En tous cas, Cambadélis qui n’est pas né de la dernière pluie est fondé à croire que ce rendez-vous à haut risque met en cause l’existence même de son parti dans ce qu’il a de plus spécifique. Qu’est-ce en effet qu’un PS qui ne serait plus le pivot de l’alternance ? Dans cette affaire, ce n’est d’ailleurs pas la forme actuelle de ce parti qui est menacée. Le premier secrétaire n’est pas le dernier à considérer que le vieux parti d’Epinay est désormais à bout de course et qu’une large refondation s’impose à tous ces dirigeants, pourvu qu’ils aient une once de bon sens. Pour rester dans la partie, le PS est contraint de se transformer, ne serait-ce que dans le cadre d’une fédération de la gauche réformiste, selon l’expression de Manuel Valls. S’il veut être réélu en 2017 et surtout avoir les moyens de digérer une victoire qui sera, quoi qu’il arrive, d’une nature hautement acrobatique, Hollande ne peut que pousser en ce sens. Mais il est clair que dans cette course de vitesse, le rendez-vous des régionales, alors que le président est au comble de l’impopularité et que son gouvernement ne parvient pas à convaincre, intervient au plus mauvais moment en ce sens qu’il peut abattre le PS avant qu’il ne soit en mesure d’imposer, à gauche, la recomposition qu’il appelle de ses vœux.

Aujourd’hui, les dés ont commencé à rouler. Le PS a perdu la guerre de l’unité. Il revendique celle-ci avec l’énergie du désespoir. Il n’avait pas d’autre choix mais en échouant sur ce terrain, il n’a fait que souligner, un peu plus, une forme d’impuissance. Or, là aussi, qu’est ce qu’un parti impuissant si ce n’est une force politique qui perdu sa raison d’être et qui du coup ne peut qu’attiser les appétits carnassiers de tous ceux qui n’ont jamais admis sa domination ? Ceux qui «veulent la peau» du PS se recrutent paradoxalement aussi bien dans les rangs d’une presse qui juge que ce parti bloque depuis trop longtemps les évolution nécessaires du système politique français que dans ceux d’une certaine gauche qui ne voit en lui que l’artisan de la trahison permanente.

Face à cette dernière, Cambadélis a joué la carte d’un référendum sans effets concrets autre que propagandistes. Il est logique qu’aujourd’hui, il tente de mettre sous pression les médias qu’il juge le plus proche de son parti, en portant contre eux, des accusations qui ne sont pas totalement infondées. Il dit vrai en tous cas lorsqu’il estime que le PS est en danger de mort. Le problème, son problème, celui qui le rend si nerveux, est que ce danger est vécu comme une chance par ceux-là même qu’il interpelle tant qu’il est encore temps.