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Un perdreau nommé Fillon

Un perdreau nommé Fillon

Le problème de François Fillon, c’est que personne ne le croit. Quand il jure n’avoir jamais demandé au secrétaire général de l’Élysée de «casser les pattes» de Nicolas Sarkozy avant qu’il ne revienne en piste, même ses amis finissent par reconnaître, à l’heure des confessions, qu’il y a dans cette information quelque chose de crédible. L’ancien Premier ministre, expliquent-ils alors, n’est pas le fourbe absolu que décrivent certains mais un homme qu’on a blessé, humilié, volé lors de la bataille pour la présidence de l’UMP et qui s’est convaincu, depuis, que le retour de Nicolas Sarkozy sur le devant de la scène politique serait, au delà de toute justice, une offense à la morale républicaine. De ce point de vue, François Fillon serait donc très hollandais…

Le tribunal correctionnel de Paris dira, début juillet, si ceux qui ont raconté l’épisode du déjeuner du 24 juillet 2014 chez Ledoyen se sont rendus coupables de diffamation. Quand la procureure déclare, un brin fataliste, qu’ «on ne pourra avoir la preuve complète de ce que Monsieur Fillon et Monsieur Jouyet se sont dit», il ne faut pas être grand clerc pour deviner derrière la banalité du propos, l’esquisse d’un jugement d’impuissance, renvoyant les uns et les autres à des polémiques étrangères à l’univers judiciaire. Quand le tribunal correctionnel jette l’éponge, c’est le tribunal de l’opinion qui s’avance. En l’occurrence, il a déjà tranché.

L’affaire, quand on y regarde d’un peu près, est d’ailleurs assez ordinaire, au moins dans ses principaux ressorts. Faut-il s’étonner que premier collaborateur du président de la République rencontre un des leaders de l’opposition ? Bien évidemment non, d’autant que dans un passé récent l’un et l’autre ont siégé dans le même gouvernement. Dans quelle démocratie a-t-on jamais vu un mur de béton s’élever entre ceux qui gouvernent et ceux qui espèrent, demain, leur succéder ? Cette rencontre était placée sous le signe de l’Europe – version officielle – mais aussi de la Russie – version officieuse. Là encore, rien de très étonnant et surtout rien de bien scandaleux.

Que d’autres sujets d’une actualité politique plus brûlante ait été abordés, ce jour-là, entre la poire et le fromage ne permet pas davantage de crier au scandale d’État. Enfin que le secrétaire général, en revenant à l’Élysée, fasse au président un compte rendu complet de cette conversation est quand même la moindre des choses. Sauf à croire que ce déjeuner n’était qu’un repas d’anciens combattants placé sous le signe d’une amitié dont on ne voit guère les fondements. Dans le contexte, il semble même logique que le nom de Nicolas Sarkozy ait été prononcé. Ou, pour le dire autrement, on voit mal pourquoi il ne l’aurait pas été alors qu’il était alors sur toutes les lèvres et que son grand retour était déjà, à l’époque, une course d’obstacles rythmée par la chronique judiciaire.

La seule question qui vaille, à ce point du raisonnement, est de savoir si François Fillon a pris le risque de passer, devant son interlocuteur, du statut d’opposant, bien décidé à tout faire pour briser les ambitions de son rival, à celui de lanceur d’alerte prêt à solliciter, dans son combat pour la justice, l’aide des plus hautes autorités de l’État. À l’époque, l’ancien Premier ministre ne cachait pas que la manière dont les finances de l’UMP avait été mobilisées pour aider Nicolas Sarkozy soulevait, à ses yeux, des problèmes de droit dont il faudrait bien, un jour ou l’autre, que la justice se saisisse. Sur ce point, on ne peut pas dire qu’il ait avancé masqué et, du coup, on voit mal pourquoi il aurait choisi, par principe, de laisser traiter cette affaire dans les seuls cercles internes à la droite. Dans le récit qu’a fait Jean-Pierre Jouyet de cet échange, on comprend d’ailleurs que tel est précisément le problème dès lors qu’on veut bien admettre qu’il ne suffit pas de claquer des doigts pour que la justice veuille bien se mettre en branle, dans la direction espérée. Fin de la partie ?

La suite échappe, en fait, à la rubrique judiciaire. Sur fond de sociabilité politico-journalistico-mondaine, on entre alors dans une autre dimension qui n’est d’ailleurs pas la moins intéressante tant elle est révélatrice des méthodes et des caractères des protagonistes de cette affaire dont on reconnaîtra qu’elle est moins ténébreuse que d’aucuns le prétendent. Avec d’abord un président que les rumeurs de la ville ont toujours passionné et qui ne résiste jamais au plaisir de faire partager à ses interlocuteurs, fussent-ils journalistes, ces «petits faits vrais» qui disent l’humeur du moment. La droite est un nid de vipères ! Entre Fillon et Sarkozy, la guerre est désormais ouverte! Pourquoi taire pareille information si elle peut, de surcroît, exacerber davantage les haines qui traversent l’opposition ?

Fillon qui parle à Jouyet, Jouyet qui parle à Hollande, Hollande qui parle aux journalistes du Monde, les journalistes du Monde qui reviennent vers Jouyet, Jouyet qui confirme dès lorsqu’il comprend que Hollande a tout dit, les journalistes du Monde enfin qui se contentent de cette source et qui font de la scène du Doyen le morceau de choix de leur nouvel opus : le circuit est assez simple. D’habitude, ce sont là des échanges de bons procédés qui font l’ordinaire de l’information politique où l’investigation est aussi l’art d’aller chercher le scoop à la meilleure source, c’est à dire au cul du camion. Si cette affaire a pris la dimension qu’on lui connaît aujourd’hui, c’est surtout que dans cette chaîne de petits arrangements, plusieurs acteurs n’ont pas respecté les règles qui s’imposent d’habitude.

Quand le livre de Gérard Davet et Fabrice Lhomme («Sarko m’a tuer») est sorti en librairie et que la presse s’est saisie de l’épisode de chez Ledoyen, Jean-Pierre Jouyet ne s’est pas contenté de nier les propos qui lui étaient attribués. Il s’est même fendu d’un mot d’excuses à François Fillon qu’il a rendu publique et dans lequel il se disait navré qu’on puisse colporter de telles allégations. Le secrétaire général de l’Elysée est un homme bien élevé, plus doué pour le réseautage que pour la politique. Il est probable que son démenti était, dans son esprit, une manière de couvrir François Fillon alors qu’un «no comment» aurait été sans doute plus habile et surtout plus efficace pour faire retomber la pression.

En en faisant un peu trop, Jean-Pierre Jouyet croyait la jouer grand seigneur. Mais il n’imaginait pas que ses dénégations allaient susciter chez ceux qui avaient recueilli ses confidences une réaction pour le moins inhabituelle. Dans ce genre de polémiques, les journalistes se contentent d’ordinaire d’un communiqué laconique dans lequel ils disent confirmer l’ensemble de leurs informations puisées, selon la formule consacrées, «aux meilleures sources». C’est même au nom de la protection de ces dernières qu’il s’abstiennent d’ouvrir leurs carnets ou de faire écouter à tout Paris, comme ce fut ici le cas, le meilleur de leurs enregistrements.

Autres temps, autres mœurs. Sans doute n’est-ce pas la première fois dans l’histoire de la République que la maladresse des uns ou l’innocence des autres modifie le cours d’une affaire en lui donnant une dimension qu’elle n’avait pas à l’origine. En cela Nicolas Sarkozy rappelle Jacques Chirac lors de l’affaire Méry devenue soudain l’affaire Strauss-Kahn en septembre 2000, au seul motif que ce dernier avait eu entre les mains, sans rien en dire à personne, une cassette assassine sur les réseaux de financement de l’ancien maire de Paris. Reste quand même, s’agissant de François Fillon, que c’est bien la première fois qu’un prétendu chasseur se retrouve à ce point, jusqu’à y laisser sa réputation, dans la peau d’un perdreau levé dans une battue de sangliers et qui, pour se défendre ne trouve rien de mieux que de saisir le tribunal correctionnel pour port d’armes prohibé.