Blog

Macron invente la loi d’intention

Macron invente la loi d’intention

Le projet de loi Macron, dont le parcours ne fait que commencer, est un objet politique à nul autre pareil. On dit un jour qu’il est vide et le lendemain qu’il a été privé de sa substance, à force de reculs ou de concessions. Cherchez l’erreur! On le décrit parfois comme un texte de régression sociale qui n’aurait pour seule boussole que de répondre aux attentes futiles de l’opinion. Cherchez la contradiction! Il a soulevé l’indignation des députés qui se disent libéraux et qui soudain défendent mordicus les professions réglementées. Curieux! Il a soulevé l’ire des écolos, Cécile Duflot en tête, au motif qu’il promeut le transport en commun, l’autocar en l’occurrence. Étonnant !Son examen, en première lecture, à l’Assemblée, est entré au cours de ce week-end dans sa partie la plus polémique, face à des frondeurs qui récusent pourtant le travail du dimanche. Amusant!

Il y a, a priori, deux manières de lire ces bizarreries récurrentes. Soit on considère qu’il est logique qu’un texte aussi fouillis provoque des réactions disparates ou foutraques. Soit on estime qu’il est normal qu’un projet aussi peu d’équerre par rapport aux clivages idéologiques patentés suscite, chez ceux qui en sont l’expression achevée, des réactions, sinon de rejet, du moins de trouble ou d’étonnement. Sans vouloir à tous prix marier les contraires et rassembler ce qui est épars, comme disent nos amis maçons, on peut quand même estimer que le projet Macron, dans son essence, vise précisément à dérouter ceux qui aiment penser au carré et à les désarmer en leur soumettant un texte à multiples facettes. Pour le dire autrement, ce projet de loi tire sa force d’avoir un contenu faible et une charge symbolique puissante. Dans l’arsenal législatif, on connaissait les lois d’application immédiate ainsi que les loi de programmation. On découvre aujourd’hui ce que peut avoir de surprenant une loi de pure intention.

C’est précisément ce qui la rend insaisissable. Ses multiples articles, pris uns par uns, ne cassent pas trois pattes à un canard. Ceux qui, tour à tour, viennent en contester tels ou tels aspects se trouvent ainsi contraints de globaliser ou d’outrer leurs critiques en expliquant qu’ils attentent à des principes sacrés qui sont, tour à tour, ceux de la sociale-démocratie, de l’écologie ou de l’ordre social traditionnel. La réponse du ministre de l’Économie est toujours la même : modestie et pragmatisme. Avec ses airs d’enfant sage, Emmanuel Macron joue sur du velours. Dès lorsque son texte n’est pas un bloc, il peut se permettre de le livrer à la critique sans se crisper pour autant. Il peut reculer. Il peut laisser amender. Il peut même reconnaître des erreurs. Avec lui, le débat parlementaire, en commission puis dans l’hémicycle, devient une vraie coproduction et pourtant, au final, c’est toujours la loi Macron qui demeure. Dès lors qu’elle est protéiforme, elle peut se modifier sans cesse sans jamais changer de nature. La preuve du port-salut, c’est que c’est écrit dessus. La preuve de la loi Macron, c’est qu’elle porte le nom du ministre.

On peut même soutenir que sa réalité est définie non pas par son contenu que par ceux qui le conteste. Débattu à l’Assemblée, le projet de loi Macron est combattu dans la rue par des corporations qui défilent tour à tour. Un jour les notaires, le lendemain les huissiers ou les avocats, le sur-lendemain les patrons d’auto-écoles. Dans le plan média du ministre, il aurait manqué quelque chose sans ces défilés qui attestent de la réalité de son combat contre les rentes ou les situations acquises. Macron dit qu’il réforme. Il ajoute qu’il libère. Ce sont des mots qui signalent une intention. C’est une intention qui se vérifie moins par les articles du projet de loi que par les réactions qu’ils suscitent.

Ce texte avait besoin d’opposants multiples pour exister. La diversité des critiques portées à son encontre lui a donné son unité. Pour qu’il imprime dans l’opinion, alors même qu’il paraît difficilement lisible, il fallait qu’il ait un visage et surtout que celui-ci renvoie à ce qu’il voulait être. Miracle de la politique! Macron ressemble à son projet. «Un coup de jeune», a dit Hollande dans une formule qui, pour une fois, dit tout. Contre les barbons, les rentiers, les idéologues et les conservateurs de tous poils, le ministre de l’Économie se veut l’incarnation d’un dynamisme sans complexe. Il fait bouger les lignes. Il brouille les repères anciens. Il les bouscule avec la politesse feinte de ceux savent que l’avenir est à eux. Macron a quelque chose d’un Julien Sorel qui n’aurait assassiné personne, sauf à imaginer qu’il n’y a pas de plus beau meurtre que celui qui consiste à conduire des vieillards jusqu’à la maison de retraite.

Ce travail-là, le ministre de l’Économie a obtenu de le mener en solitaire. Couvert par ses patrons de l’Élysée et Matignon, il avance désormais sans protections. Son inexpérience est un tel bouclier qu’il a même pu se passer de l’appui encombrant de la Garde des Sceaux, Christiane Taubira, ou du ministre du Travail, François Rebsamen. Ces deux-là, bon gré, mal gré, sont restés en coulisse alors que le projet de loi concerne pourtant leur champ de compétence. Mais dans cette opération, il fallait à l’évidence que «le petit Macron» entre dans la carrière à ses risques et périls, sans guides apparents ni professeurs de maintien. Dans l’histoire de la République, c’est sans doute la première fois qu’on a joué aussi gros avec un texte aussi mince, sur la seule mine d’un ministre débutant dont la mission est rien moins que de ringardiser tous les autres.

Pour que ça marche, il fallait donc que Macron ait la tête de l’emploi. Il fallait aussi que les intentions qu’il incarne soient cohérentes avec ce que signale son parcours. Bref, il fallait un héros dont le pragmatisme tactique ne soient pas l’unique expression d’un cynisme sans horizon politique, façon Tapie lorsque celui-ci fréquentait les bancs du gouvernement à côté de Bérégovoy et Aubry. La carte d’identité du ministre de l’Économie, celle que la presse signale à l’envie, comporte deux points essentiels. Ce banquier d’affaire fut aussi le dernier assistant de Paul Ricoeur. Même s’il est probable que les affaires l’ont davantage occupé que la philosophie, Macron se présente comme un ministre a-typique, propulsé sur le devant de la scène sans avoir eu à franchir les épreuves initiatiques du militantisme (ce qui est d’ailleurs faux) ou de l’élection (ce qui fut pourtant autrefois son rêve). A tort ou à raison, il passe donc pour un responsable politique presque vierge qui s’est pourtant frotté au monde des idées ainsi qu’à celui de l’entreprise, dans sa version bancaire.

La loi d’intention qui porte son nom ne tient debout qu’avec ses deux étais. Sa cohérence n’est pas dans son détail. Son unité n’est pas de simple méthode. L’importance qu’on lui prête, malgré son caractère disparate, tient au fait qu’elle paraît dessiner, par petites touches, un projet politique qui, pour être encore dans les limbes, n’est pas celui d’un ectoplasme. Du coup, ceux qui le combattent n’ont pas forcément tort, même s’ils ne parviennent pas encore à trouver le bon angle ou à unir leurs critiques de manière crédible. L’exercice est pour eux d’autant plus difficile que Macron déplace le curseur du traditionnel clivage gauche-droite. Son ennemi, c’est la rente qui a parfois le visage de l’avantage acquis. Son credo, c’est la liberté qui brise les chaînes – voilà pour la gauche – et encourage l’initiative privée – voilà pour la droite. Son obsession, enfin, c’est la croissance qui crée de l’emploi et entraîne le progrès. Pour se couvrir dans son camp, Macron explique à longueur de discours que cet objectif-là n’attente en rien aux ambitions constantes d’un socialisme pragmatique et moderne. Ce qui est vrai sans que cela suffise à le définir idéologiquement. Sauf à croire que l’essence de la droite serait le refus de la croissance et de l’emploi…

Pour saisir la vérité de la loi Macron, il faut dépasser la stade des argumentaires. Il faut même sortir de l’examen, au coup par coup, de ses multiples articles dont on pourra toujours expliquer que celui-là répond aux attentes du patronat et tel autre à celles des syndicats, que l’un est conforme aux traditions progressistes alors que le suivant ne peut que réjouir tel ou tel courant de la droite. Cela peut paraître un pléonasme mais le projet du ministre de l’Économie est d’abord un projet économique. Il soumet le droit à cet impératif. Cela ne veut pas dire qu’il l’efface. Mais il ne l’intègre que dès lors qu’il n’y contrevient pas. Quand il le modifie, c’est dans cet unique objectif.

La philosophie générale de la loi Macron est que l’initiative individuelle reste le moteur principal du progrès et qu’elle ne doit être régulée que pour demeurer fidèle à sa vocation première. C’est donc, au vrai sens du terme, une loi libérale. Elle sous-entend constamment que l’époque et le contexte exigent que les règles qui encadrent l’économie soit abaissées ou déplacées dans le but de les rendre plus efficientes car moins contraignantes. Elle repose enfin sur l’idée que les protections en vigueur ne servent pas forcément ceux pour qui elles ont été faites, c’est à dire les plus faibles. Dis comme ça, on comprend mieux que, dans ce débat original, une fraction de la gauche se rebiffe et qu’une partie de la droite puisse se laisser tenter. Sans vouloir renvoyer à des précédents d’une toute autre puissance, la loi Macron est la lointaine héritière de la célèbre loi Le Chapelier qui, en 1791, proscrivit en France, pour un siècle, les corporations. En ce sens, elle est à la fois très républicaine et très libérale. On laissera à d’autres le soin de définir son caractère régressif ou révolutionnaire.